#BlackHERStoryMonth : Notre histoire est notre force !

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Dans quelques jours s’achève le Black History Month (le Mois de l’Histoire des Noirs). Institué en 1970, le Mois de l’Histoire des Noirs est célébré aux Etats-Unis et au Canada au mois de février pour mettre en lumière les personnages historiques afrodescendants peu connus ou oubliés. En effet, les livres d’histoire omettent depuis des décennies de mentionner nombre de figures noires importantes, participant ainsi à leur invisibilisation et à une lecture eurocentrée de l’Histoire. Pour ces raisons, le Mois de l’Histoire des Noirs est important car il permet aux Afrodescendants de  pouvoir se réapproprier leur histoire et faire connaître leurs héros et héroïnes. Cependant, on a observé pendant des années que les personnages histoires féminins noirs étaient peu mis en avant dans ces célébrations par rapport à leurs congénères masculins. Nous connaissons tous.tes Malcolm X, Martin Luther King, W.E.B Dubois, Kwame Nkrumah, Langston Hughes, Patrice Lumumba, Marcus Garvey et plein d’autres.

Côté féminin, Angela Davis, Rosa Parks et Harriett Tubman ont souvent été les rares à être citées quand s’il s’agissait de parler des femmes noires ayant marqué l’Histoire. Ces dernières années, les choses changent. De plus en plus d’initiatives sont mises en place pour faire connaître des figures féminines noires durant le Mois de l’Histoire des Noirs. Le hashtag #BlackHerStoryMonth en fait partie. Il est utilisé sur les réseaux sociaux pour célébrer les femmes noires d’Afrique et des diasporas qui ont impacté leur époque. D’ailleurs, j’avais lancé une série d’articles deux années consécutives intitulée #BlackHerStoryMonth dans laquelle je présentais chaque semaine une figure historique féminine originaire d’Afrique et  des diasporas noires pendant tout le mois de février. Ce fut un réel plaisir de rédiger ces portraits car cela m’a permis de découvrir et de faire découvrir des  femmes telles que Viola Desmond, Aoua Keïta, Phyliss Wheatley, Nanny, etc…  les commentaires positifs que j’ai reçu suite à ces articles de personnes qui me remerciaient de les avoir permis de connaître certaines figures inconnues du grand public m’a conforté dans l’idée qu’il est important de faire connaître notre héritage historique.

En tant qu’afroféministe, cet héritage historique est une force et une richesse. En effet, j’ai toujours aimé l’Histoire, elle m’a appris énormément sur le passé mais surtout sur le présent. Néanmoins, cette Histoire (en tout cas celle que je lisais dans les manuels scolaires) m’a toujours paru trop blanche et trop masculine. Quand j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de l’Afrique et des diasporas noires, j’ai (re)découvert des personnalités historiques  telles qu’Almicar Cabral, Béhanzin,  Soundiata Keïta, Sankara, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop. Comme vous le pouvez le constater, ce sont tous des hommes. Excepté Aline Sitoé Diatta, Rosa Parks et la reine Pokou, je ne connaissais pas d’autres figures historiques féminines noires. Il a fallu que je lise en 2008 l’ouvrage de Sylvia Serbin « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » pour prendre conscience du rôle crucial et important des femmes dans l’histoire de l’Afrique et des diasporas. Loin des clichés misérabilistes et déshumanisants, les héroïnes présentées par Sylvia Serbin (la Mulâtresse solitude, Ranavalona III,  les Amazones du Dahomey, Madame Tinubu, la Vénus Hottentote, etc…)  sont de véritables femmes de tête qui ont mis leur ingéniosité, leur pugnacité et leur ambition au service de leur peuple. En tant que jeune femme noire, cet ouvrage fut vraiment salutaire car il m’a permis de comprendre la longue lignée de femmes dont je suis héritière. En outre, j’ai pu également réaliser l’absurdité des commentaires que j’ai souvent entendu disant que le féminisme ne serait pas africain. L’ouvrage de Sylvia Serbin déconstruit cette idée saugrenue en narrant les parcours de femmes fortes, braves et courageuses qui ont mené des luttes au premier plan et qui occupaient des places importantes dans leurs communautés respectives. Ces parcours permettent aussi de réaliser comment l’introduction du Christianisme et l’Islam sur le continent africain ont profondément modifié la place des femmes dans leurs sociétés. Tout cela permet d’une part de rejeter les injonctions faites aux femmes africaines par leurs congénères masculines et féminins d’être soumises car cela serait inhérent à leurs cultures et d’autre part de déconstruire cette idée que les femmes africaines auraient été de tout temps soumises et que le féminisme occidental serait le seul à même de pouvoir les « sauver ».

A l’époque où les femmes occidentales peinaient à être autonomes et vivaient sous la tutelle de leur mari, des royaumes et des empires africains étaient dirigés par des femmes. Ces dernières jouissaient de bien plus de droits que leurs congénères occidentales. Sachant cela, je trouve assez risible de voir des féministes occidentales donner des leçons de féminisme aux femmes africaines. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises (et je continuerais à le marteler tant qu’il le faudra !), les femmes africaines n’ont pas besoin du féminisme occidental pour se libérer ou s’émanciper. Leur héritage historique et culturel est une source d’inspiration assez importante dans laquelle elles puisent pour mener leurs combats.

Pour en revenir au Mois de l’Histoire des Noirs, il est important de célébrer ces figures féminines historiques non pas seulement le mois de février mais toute l’année. Les parcours et les accomplissements de ces femmes doivent être connus de tous notamment des plus jeunes. On parle beaucoup ces dernières années de l’importance de la représentation et de l’impact qu’elle a sur l’estime soi des Afrodescendants. Je pense que la connaissance de l’histoire des femmes noires  participe à permettre qu’il y ait une meilleur représentation pour les jeunes filles qui grandiront en sachant que leurs aïeules étaient des femmes d’exception, qui ont marqué leur époque et qui ont su transcender leur genre et leur couleur de peau. Dans une société où nous sommes constamment dévaluées, dans laquelle  nous subissons racisme et sexisme, la connaissance de notre histoire est notre force. Notre histoire nous rend fortes car elle nous enseigne, à travers les vies de ces héroïnes, l’importance de mener des luttes avec conviction et courage pour nos droits. Notre histoire nous rend fortes car elle est une boussole qui nous permet de comprendre dans quelle direction nous devons nous diriger pour pouvoir nous émanciper et transcender les obstacles sur le chemin de notre libération. Notre histoire nous rend fortes car elle nous permet de garder en mémoire le fait que nous devons œuvrer pour laisser un monde meilleur à nos filles et nos petites filles de la même manière que nos aïeules l’ont fait pour nous.

Notre histoire est également notre richesse dans laquelle nous devons puiser pour nous rappeler à quel point nous sommes belles, fabuleuses et magiques ! Cela peut sembler superficiel pour certains de parler de fabulosité et de beauté mais  je suis convaincue que l’estime de soi est politique, particulièrement pour les femmes noires qui ont été déshumanisées au fil des siècles, et qu’on ne peut envisager la lutte afroféministe sans l’aborder. Une femme noire qui s’aime inconditionnellement sera à même de lutter pour la libération des femmes noires et naviguer dans cette société hostile avec grâce et détermination.

de haut en bas et de gauche à droite : Yaa Asantewa, Carlota Lucumi, Virginia Brindis de Salas, Sanité Belair, Madam CJ Walker, Yennenga

De plus, s’il est important de célébrer la contribution des femmes afrodescendantes dans l’Histoire, il faut cela que l’attention n’en soit pas portée exclusivement sur les femmes afroaméricaines comme c’est souvent le cas. En effet, il est crucial que les femmes d’Afrique (Yennenga, Yaa Asantewa, Ndetté Yalal Mbodj, Anne Zhinga, Titina Sila, M’Balia Camara, etc…), d’Amérique Latine (Victoria Santa Cruz, Carlota Lucumi, Sylvia del Villard, Maria Firmina dos Reis, Virginia Brindis de Salas, etc…) et des Caraïbes ( Mary Prince, Marie Claire Bonheur, Suzanne Sanité Belair, Marie Joseph Angélique, Héva, Claire, ect…) soient aussi célébrées et reconnues à leur juste valeur. Elles ne sont pas moins méritantes et moins importantes que leurs consœurs américaines. Il est important de ne pas avoir ce complexe envers les USA pour être capables de reconnaître que dans les cultures africaines et dans celles d’autres diasporas des personnages qui peuvent nous inspirer et fierté.

Shirley Chisholm

Pour terminer, je dirais que notre histoire est un trésor que nous devons protéger et magnifier. Cette histoire qu’on a tenté de falsifier, de dénaturer et de travestir est belle, majestueuse et grande. Ceux qui ont tenté de nous faire croire le contraire en décrétant que la traite négrière et la colonisation nous définissaient en tant que peuple ont tort et ils le savent ! Nous devons le savoir également et pour cela le travail de transmission doit se faire. Comme je l’ai expliqué précédemment, les jeunes générations doivent connaître leur histoire pour pouvoir se construire et savoir qui ils sont. Dernièrement, une personne avec laquelle je discutais me disait au cours d’une conversation que le passé c’était du passé et que cela ne servait à rien d’y revenir en permanence. Je lui ai dit qu’on ne peut rayer le passé et prétendre qu’il n’a jamais existé. Le passé est une clé importante pour comprendre le présent. Le passé continue à impacter le présent de manière forte. Le passé est toujours présent. Des évènements récents ont démontré que le passé se réinvite parfois dans le présent.  En effet, comment ne pas penser à Shirley Chisholm, la première femme noire à concourir à l’élection présidentielle américaine de 1972 à l’annonce de la candidature de Kamala Harris le 21 janvier 2019 pour l’élection de 2020 ?

Celia Cruz

Connaissez-vous Amara La Negra ? Cette chanteuse afrodominicaine, star de l’émission de télé réalité Love & Hip Hop Miami, qui fait beaucoup parler d’elle ces derniers mois en dénonçant le racisme et le colorisme dans les communautés hispaniques et qui a parlé des difficultés dans le monde musical en raison de sa couleur de peau. Son parcours n’est pas sans rappeler celui des artistes telles que la célèbre chanteuse cubaine Celia Cruz  ou encore Victoria Santa Cruz, poète, activiste et chorégraphe afropéruvienne. Son poème le plus connu est intitulé « Me Gritaron Negra » (Ils m’ont traitée de Noire ») parle de sa condition de femme noire au Pérou et dont voici un extrait très puissant :

« Enfin j’ai compris

ENFIN

Je ne recule plus

ENFIN

J’avance fermement

ENFIN

J’avance et j’attends

ENFIN

Et je bénis le ciel car Dieu a bien voulu que noire comme l’ébène soit ma couleur de peau

Maintenant j’ai compris

ENFIN

J’ai enfin la clé

Noire ! Noire ! Noire ! Noire !

Noire ! Noire ! Noire ! Noire ! Noire ! Noire ! Noire !

Je suis noire ! »

Victoria Santa Cruz

Enfin, lorsqu’on voit ce reportage de BBC Africa dans les rues de Lagos à l’occasion de l’élection présidentielle au Nigeria qui a eu lieu le 23 février 2019 dans lequel on demande aux passants ce qu’ils pensent d’avoir une femme comme président, je me dis que Amina de Zaria et Funmilayo Ransome-Kuti se retourneraient sans doute dans leurs tombes en entendant ces personnes dire que le Nigeria n’est pas prêt à avoir une femme présidente ou encore qu’une femme n’est pas « assez dure » pour diriger le pays. Reine guerrière haoussa, Amina de Zaria fut la première femme à devenir la « Sarauniya » dans une société dominée par les hommes au 16ème siècle. Funmilayo Ransome-Kuti, quant à elle, fut une militante des droits des femmes et de l’indépendance du Nigeria. Elle mena un combat acharné contre les autorités locales et coloniales contre l’impôt imposé aux commerçantes et pour le droit de vote des femmes.

Au regard du parcours de ces deux femmes, il est choquant de constater que la possibilité qu’une femme puisse diriger le Nigeria est considérée comme impossible ou insensé. Ceci démontre le recul des droits des femmes et de leur position dans la société de la période précoloniale jusqu’à aujourd’hui en Afrique subsaharienne.

Amina de Zaria

En conclusion, notre histoire est riche d’enseignements. Elle nous enseigne notre passé, d’où nous venons et la route que nous devons emprunter. En tant que femmes noires, nous devons rester fidèles à notre histoire, être dignes des combats de nos aïeules et porter avec fierté notre héritage historique. Regarder en arrière ne signifie pas vivre dans le passé ou faire preuve d’anachronisme. Regarder en arrière signifie prendre la pleine mesure du legs de nos aïeules et l’utiliser comme une force qui nous guide et nous forge pour nous permettre de mener nos combats. Un célèbre proverbe dit « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va ». Il ne peut pas être plus vrai. Notre histoire est notre boussole qui nous guide, qui nous montre le chemin à suivre et la manière dont nous pouvons nous émanciper et nous libérer en restant fidèles à ce que nous sommes.

N’oublions jamais ce que nous sommes, notre histoire, les sacrifices que nos aïeules ont consenti, les luttes qu’elles sont mené pour que tout ceci nous inspire à faire de pour les générations futures.

Notre histoire est notre passé, notre présent et notre futur !

Une réflexion sur “#BlackHERStoryMonth : Notre histoire est notre force !

  1. Wow! Quel article! Tellement bien fourni! Riche à souhait de références. Il donne envie d’aller s’instruire!! Et d’en apprendre plus que ce que l’on nous sert dans les manuels scolaires. Ce sont ces figures que nous devrions apprendre à nos plus jeunes, leur enseigner leurs luttes et leurs parcours, afin que les jeunes soient inspirés!! Qu’ils arrêtent de penser qu’il n’y avait personne parmi leurs ancêtres, aucune femme digne de ce nom.
    Le livre de Sylvia Serbin « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire », je souhaite me l’offrir et le lire tranquillement.
    En tout cas merci une fois de plus pour ton partage!
    Tu restes fidèle à toi même, et ça c’est super!
    Bisous.

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