Ndèye Fatou Kane (que je surnommerais NFK pour la suite de l’article pour plus de facilité lol ) est une auteure et blogueuse sénégalaise dont j’ai découvert le travail en 2015. A travers son blog, « Ce que j’ai dans la tête », j’ai été séduite par sa plume, son amour de la littérature africaine ainsi que par son esprit critique. En effet, NFK a un style direct et ne mâche pas ses mots pour dénoncer les maux de la société sénégalaise et du continent, tout cela avec honnêteté et répartie. C’est pour cela que lorsque j’ai appris qu’elle sortait un essai sur le féminisme intitulé « Vous avez dit féministe ? », j’ai été très enthousiaste pour deux raisons. La première raison est que j’avais hâte de découvrir son regard et son positionnement de jeune femme sénégalaise sur les problématiques relatives au féminisme, même si j’en avais une petite idée après avoir lu certaines de ses prises de position sur le sujet. En effet, suite au mouvement #metoo et #balancetonporc, NFK a tenté d’ouvrir le débat dans son pays le Sénégal en créant le #BalanceTonSaïSaï pour dénoncer les violences sexuelles. De plus, elle a également rédigé une tribune pour dénoncer les propos d’un professeur sénégalais de philosophie sur le viol.
La deuxième raison de mon intérêt est que je trouve important que les femmes africaines s’expriment sur les enjeux féministes sur le continent. Comme je l’ai souvent dit sur ce blog, la réappropriation de la parole et de la narration est fondamentale pour les femmes africaines et afrodescendantes. Pendant des décennies, d’aucuns se sont arrogés le droit de dire aux femmes africaines comment vivre leur féminité, comment être féministes ou de ne surtout pas être féministes, sans jamais laisser les principales concernées avoir voix au chapitre. Cet état de fait perdure. D’une part, on a vu récemment un président français se croyant investi d’une mission de pseudo sauveur livrer un discours aux relents paternalistes et racistes à l’endroit des femmes africaines sur leur fécondité. D’autre part, vous avez des voix masculines sur le continent et dans la diaspora qui soutiennent mordicus que le féminisme n’a pas sa place sur le continent africain car ce serait un concept occidental. Quid des femmes africaines ? Qu’en pensent-elles ? L’une d’entre elles a décidé de s’exprimer.
NFK, une jeune femme africaine, sénégalaise, de confession musulmane et de l’ethnie haal pulaar nous livre sa vision du féminisme et des inégalités de genre en partant de sa quadruple identité et de son vécu. Dans son essai « Vous avez dit féministe ?», NFK dresse le portrait de 4 figures féministes : Simone de Beauvoir, Mariama Ba, Awa Thiam et Chimamanda Ngozi Adichie. Quatre femmes de lettres. Quatre époques. Quatre visions. Quatre histoires. En retraçant les parcours de ce quatre femmes, NFK nous fait (re) décourvir quatre visions différentes du féminisme mais qui ont un point commun : la libération des femmes du joug patriarcal. En effet, l’ouvrage nous fait voyager de la France au Nigeria en passant par le Sénégal. On y découvre quatre femmes qui s’insurgent et luttent contre les inégalités subies par les femmes de leurs pays. Leurs propres expériences ainsi que celles de leurs congénères leur fait prendre conscience de l’importance de mener un combat féministe. Les contextes sont différents, les enjeux le sont également mais ces quatre femmes portent un regard similaire sur les maux de leurs sociétés bien qu’elles y apportent des réponses différentes.
En lisant « Vous avez dit féministe ?», j’ai redécouvert certaines figures dont j’ai toujours admiré le travail et les positionnements féministes. J’ai pu en apprendre davantage sur leurs parcours personnels, sur leurs vécus et également sur leurs blessures intimes. Cela permet à mon sens de replacer leurs théories et leurs analyses dans un contexte et dans une histoire particulière et ça leur donc encore plus de sens. En achevant la lecture des quatre portraits, NFK nous livre son analyse. Cette analyse est une synthèse dans laquelle elle décrypte les quatre positionnements féministes de ses aînées et les met en perspective avec l’époque actuelle. Elle fait un état des lieux du féminisme en faisant un lien avec les inégalités de genre qui existent dans son pays, le Sénégal. Elle plaide pour une dédiabolisation du terme féminisme, utilisé à tort et à travers et qui fait l’objet de nombreux fantasmes et clichés. En outre, elle déplore le désintéressement des femmes de sa génération pour la cause féministe et les appelle à se responsabiliser et à se saisir de ses luttes nécessaires pour les droits des femmes sénégalaises.
Bien que cette analyse soit intéressante, je l’ai trouvé un peu trop courte. En effet, comme je l’ai mentionné plus haut j’attendais avec impatience l’analyse de NFK en débutant l’ouvrage. Je souhaitais que celle-ci soit plus longue, plus riche et plus complète, ce qui aurait permis vraiment d’aller au fond des choses en ce qui concerne les inégalités de genre et le patriarcat. Bien que certains points qu’elle soulève soient pertinents, je suis resté sur ma faim. J’espère donc que cet essai n’est qu’une mise en bouche et que très bientôt, NFK nous livrera un autre essai sur le féminisme dans lequel elle prendra le temps de faire une analyse plus complète sur les enjeux du féminisme à notre époque.
Suite à cette analyse trop brève à mon sens, l’auteure nous propose une critique sur le féminisme contemporain de Jean Aimé Dibakana, sociologue et romancier. J’avoue avoir été décontenancée en lisant ce texte tant c’est un condensé des clichés les plus stupides et abjectes qui puissent exister sur le féminisme. Sur un ton paternaliste, l’auteur de ce texte écule toute une série de lieux communs et de propos caricaturaux su le féminisme, enjoignant bien évidemment les femmes à choisir une autre voie. Je ne m’attarderais pas sur ces clichés qui ne valent même pas la peine qu’on y prête attention. Ce genre d’écrit démontre que l’entreprise de diabolisation à l’égard du féminisme avec pour but de délégitimer ce mouvement a bien fonctionné. De nombreux hommes (et femmes) sur le continent africain continuent de voir le féminisme comme une menace à l’égard des sociétés africaines, une importation occidentale qui remettrait en cause le rôle de la « femme africaine». Cette « femme africaine » qui n’existe pas et qui n’est qu’un archétype construit par la société patriarcale pour maintenir en situation de domination les femmes. La lecture cette contribution fut fort déplaisante et même si je ne fus pas surprise le moins du monde par le contenu, je fus étonnée qu’il figure dans « Vous avez dit « féministe ? ». En effet, je considérais cet essai comme étant dédié au féminisme, aux droits des femmes et à leur émancipation. J’ai trouvé cela un peu paradoxal de faire figurer dans cet ouvrage une thèse qui est aux antipodes de celles développées tout au long de celui-ci. Lire les analyses et les critiques du patriarcat de Simone de Beauvoir, Mariama Ba, Awa Thiam et Chimamanda Ngozi Adichie pour ensuite devoir se plonger dans un texte qui transpire le sexisme, la misogynie et le paternalisme, c’est assez déroutant, pour ne pas dire perturbant. Je respecte le choix de l’auteure d’avoir inclus ce texte dans son essai même si je pense qu’un texte d’une autre nature, même s’il est critique, aurait été plus approprié à mon sens.
NFK inclut également dans « Vous avez dit féministe ? », une nouvelle intitulée « (In) Certitudes » qui parle des tribulations d’une femme âgée de quarante ans, célibataire et sans enfants. Je ne vous en dirais plus car je souhaite que vous découvriez vraiment cette nouvelle très touchante et très émouvante qui révèle la beauté de la plume de NFK.
En conclusion, Marie Angélique Savané, grande figure du féminisme sénégalais et fondatrice du premier mouvement féministe sénégalais Yewu Yewi déclarait dans un entretien que la nouvelle génération n’ai pas pu continuer le combat initié par sa génération dans les années 70-80. NFK, avec « Vous avez dit féministe ? » rompt ce hiatus trop long entre ces deux générations, se positionne et s’inscrit dans le sillage des grandes figures du féminisme sénégalais et africain. Elle y apporte son regard de jeune femme africaine, sénégalaise, musulmane et haal pulaar pour livrer une analyse sans concession du féminisme des inégalités de genre. Bien que je pense qu’elle aurait pu aller plus loin et que son analyse du féminisme aurait pu être plus riche et conséquente, je pense que c’est une bonne entrée en matière pour NFK. « Vous avez dit féministe ? » doit permettre à d’autres jeunes femmes sur le continent de se saisir des questions relatives au féminisme et aux inégalités de genre en se réappropriant leur narration sans laisser parler d’autres à leur place. Bien qu’il soit très riche en références, c’est un essai accessible et facile à lire qui se distingue de certains ouvrages du genre qui peuvent être indigestes parfois à force d’être trop techniques. C’est important à souligner car le féminisme a longtemps souffert d’une image élitiste et est encore perçu par de nombreuses femmes comme étant réservé à une certaine élite bourgeoise et éduquée.
NFK fait partie de cette génération de femmes africaines modernes de la génération Y, dont j’avais parlé dans un précédent article, qui utilise les nouvelle technologies pour poursuivre le combat de leurs aînées contre les inégalités de genre. Ces jeunes femmes apportent un souffle nouveau et incarnent une nouvelle manière d’envisager la lutte féministe sur le continent et surtout elles cassent l’image stéréotypée de « la femme africaine » misérabiliste et victimaire qui prévaut en Occident.
Pour tout cela, je considère que « Vous avez dit féministe ? » est un ouvrage intéressant qui est une bonne entrée en matière sur le sujet et qu’il ouvre des pistes de réflexions et des questionnements sur le féminisme en Afrique. NFK et les jeunes femmes africaines de sa génération sont les héritières des luttes et des combats de leurs aînées. Elles se doivent de reprendre le flambeau et d’œuvrer à leur niveau afin d’éradiquer les discriminations et les violences à l’endroit des femmes africaines. C’est ce que Ndèye Fatou Kane fait avec cet ouvrage et j’espère que de nombreux ouvrages écrits par de jeunes africaines sur cette thématique verront le jour bientôt pou continuer à faire vivre l’héritage de nos aïeules.
Vous avez dit féministe?, par Ndèye Fatou Kane, Edition L’Harmattan Sénégal, 2018, 110 pages, 13€.
Voilà. Merci. Vous avez su utiliser les mots justes sans frustrer. Vous avez lu le texte de l’autre dont je me demandais ce que ça faisait ici. Ma frustration a été immense. Mais elle a du mérite pour avoir écrit. Et j’attends d’autres essais sur le sujet parce que vraiment elle a beaucoup à dire sur le sujet. Merci pour la critique!
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Et vous avez tout dit sachez aussi comme le dit cette citation,je le cite: l’écriture est une arme de combat.Bon courage.
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