J’ai toujours aimé la musique. Depuis mon plus jeune âge, elle m’a accompagné dans mes moments de joie, de tristesse et de doute. La musique a également participé à des prises de consciences importantes notamment sur la question du féminisme. Je m’en suis souvenue récemment avec la sortie du cinquième et dernier opus du groupe TLC . En effet, le 30 juin dernier, après plus de quinze ans d’absence, l’un des plus grands groupes féminins de l’histoire de la musique nous a délivré un opus éponyme. Pour les moins de vingt ans, c’est sans doute un non-évènement mais pour tous les musicophiles de ma génération c’était un retour attendu qui relève presque du « miracle » quad on connaît l’histoire de ce groupe légendaire.
Le décès brutal en 2002 de Lisa « Left-Eye » Lopes a marqué un coup d’arrêt à la carrière du groupe qui a disparu de la scène publique et des charts. Ce long hiatus a pris fin il y a deux ans grâce à une opération kickstarter couronnée de succès qui a permis de financer ce dernier opus. Pour le plus grand bonheur des nombreux fans de TLC dont je fais partie.
La sortie de ce dernier album fut l’occasion pour moi de me replonger dans la discographie du groupe et de réécouter leurs nombreux classiques. Outre la nostalgie ressentie à l’écoute de ces morceaux qui ont traversé le temps et qui me rappellent l’insouciance de mes jeunes années, j’ai réalisé à nouveau l’impact de TLC sur ma vision du féminisme et la manière dont les textes du groupe m’avaient inspiré en tant que jeune femme noire. TLC n’a jamais été uniquement un groupe musical composé de jolies filles qui chantaient des refrains entêtants. TLC est un groupe iconique a qui a marqué de son empreinte l’industrie de la musique et le cœur de ses fans grâce à des textes conscients et positifs qui véhiculent des valeurs telles que l’empowerment, l’estime de soi et l’autodétermination des femmes. Bien qu’elles ne se soient jamais revendiquées féministes, les textes de leurs chansons ont une portée féministe qui m’a énormément influencé et qui a contribué à ma vision de l’égalité des sexes et de l’émancipation des femmes. Pour illustrer mon propos, voici les cinq titres de la discographie de TLC qui m’ont influencé ma vision du féminisme, de l’empowerment et de l’égalité ses sexes :
- Ain’t 2 proud 2 beg
Ce fut le premier single du premier album de TLC « Oooooooh…On The TLC Tip » sorti en 1992. Dans cette chanson T-Boz, Left-Eye et Chilli n’ont pas honte de faire à part à leur partenaire de leurs désirs charnels. De manière directe, elles affirment leurs droits à exprimer leurs envies sans honte ni tabou. Particulièrement dans le refrain dans lequel Left-Eye rappe avec assurance : « If I need it in the morning or the middle of the night, I ain’t too 2 proud 2 beg (…) 2 inches or a yard rock hard or if it’s saggin’ ». Ces paroles que certains pourraient juger trop osées ou trop explicites ne sont qu’une déclaration d’indépendance de jeunes femmes confortables avec leur sexualité et qui revendiquent le droit d’assumer leurs désirs et leurs envies sans être jugées ou stigmatisées pour cela. Dans une société où la sexualité des femmes (particulièrement des femmes noires) est un sujet tabou et contrôlée par les hommes et la société patriarcale, affirmer avec fierté son droit à assouvir ses envies est un message fort. Outre ce message important, la vidéo de ce titre est également symbolique. En effet, Left-Eye porte une tenue avec des préservatifs comme accessoires. Il s’agit d’un prise position forte du groupe pour promouvoir les relations sexuelles protégées et également faire en sorte que les préservatifs soient « hypes » et que les jeunes n’aient plus honte d’en acheter.
- His story
Egalement issu du premier album du groupe, ce titre est moins connu du grand public en raison du fait qu’il ne soit jamais sorti en single. Cependant c’est une chanson avec un texte lourd de sens. En effet, ce titre est une dénonciation de la culture du viol qui discrédite la parole des femmes victimes de violences sexuelles au profit de celles des hommes coupables de ces crimes. Comme le dit le refrain : “His story over mine his story will be his story. And my story is a waste of time, They’re gonna belive his story (..)”
De plus, dans l’introduction de la chanson, Left-Eye dédie cette chanson à Tawanna Brawley , une jeune afro-américaine âgée de quinze ans qui accusa en 1987 quatre hommes blancs de viol. La jeune femme fut retrouvée dans un état dégradant dans un sac poubelle, recouverte d’insultes raciales sur le corps couvert d’excréments. L’affaire fut médiatisée à l’époque en raison du caractère raciste du crime et de la vive colère provoquée par cette affaire dans la communauté afro-américaine. Les coupables de crime innommable et odieux furent acquittés et la victime fut même poursuivie et condamnée pour diffamation.
En dédiant cette chanson à Tawanna Brawley, TLC dénonce et met en exergue les violences racistes et sexistes subies par les femmes noires et voient ensuite leurs paroles déniées au profit des hommes blancs. Cet état perdure depuis des siècles et l’illustration des oppressions spécifiques subies par les femmes noires dans une société blanche et patriarcale. La sexualisation du corps des femmes noires opérée par le système esclavagiste a été utilisée pour justifier les violences subies par les femmes noires. Un des couplets y fait référence : « Sometimes I feel like there is no reason for me to explain, No matter how much we complain You know it all stays the same They try to call us freaks Why does it have to be We can’t get justified until we speak up.”
Le texte souligne également l’importance pour les femmes de prendre la parole, de dénoncer les oppressions qu’elles subissent et surtout de ne pas accepter cette position de victime et de s’affirmer dans la société.
- Red Light Special
Slow jam sensuel, « Red Light Special » est une vraie pépite du deuxième album du groupe « CrazySexyCool ». Je me souviens que j’avais à peine 11 ans quand ce titre est sorti. Bien trop jeune pour comprendre les paroles explicites de cette chanson, je me contentais de regarder le clip vidéo sur MTV. J’y voyais trois femmes noires belles, puissantes et confiantes. La petite fille que j’étais se disait intérieurement « quand je serais plus grande, je voudrais être aussi belle et sexy que les TLC ! » En réécoutant la chanson bien des années plus tard que j’en ai compris le sens et elle est devenue depuis mon sex jam préféré.
« Red Light Special » est une chanson dans laquelle T-Boz, Left-Eye et Chilli expriment leurs désirs et font part de leurs préférences sexuelles. De manière sensuelle et décomplexée, elles invitent leurs partenaires à les satisfaire comme elles le souhaitent : « ‘ll let you touch it if you’d Like to go down I’ll let you go further If you take the southern route Don’t go too fast Don’t go too slow You’ve got to let your body flow I like ’em attentive And I like ’em in control.”
Comme “Ain’t 2 proud 2 beg”, “Red Light Special” est une vraie affirmation d’indépendance et de contrôle de son corps et de sa sexualité comme le prouve cet extrait dans lequel Chilli chante : » I’m a woman a real woman, I know just what I want, I know just who I am. »
En outre, le clip vidéo du titre est également assez avant-gardiste d’une certaine manière. Dans le sens où les rôles généralement attribués aux hommes et aux femmes sont inversés. On y voit une partie de strip-poker où les hommes se déshabillent pour le plus grand plaisir des filles du groupe qui restent vêtues et qui les admirent avec désir. Cette scène va à l’encontre des images véhiculées dans les médias et la pop culture qui voudraient que le corps féminin n’ait pour unique objet de satisfaire les envies des hommes et qui entraîne donc une objectification et sexualisation de facto du corps de la femme. A bien des égards, « Red Light Special » déconstruit de nombreux clichés et positionne la femme en tant que maîtresse de ses désirs, de ses envies et de sa sexualité.
- Unpretty
Bien avant que le mouvement « Body Positive » ne devienne populaire dans les médias et sur les réseaux sociaux, TLC prônait dans « Unpretty » l’acceptation de soi et dénonçait les standards de beauté étriqués et irréalistes qui nuisent à la santé mentale et physique des femmes. Véritable ode à l’amour et l’estime soi, « Unpretty » est sans aucun doute mon titre préféré de la discographie du groupe. L’adolescente de seize ans que j’étais quand ce titre est sorti était insécure, peu sûre d’elle et bourrée de complexes. Les paroles de cette chanson furent salvatrices et libératrices pour moi et me permirent de porter un autre regard sur moi-même.
Cette chanson est devenue en quelque sorte mon « hymne », il m’arrive encore de l’écouter aujourd’hui dans les moments de blues et de fredonner le refrain à tue-tête pour me redonner confiance : « You can buy your hair if it won’t grow, You can fix your nose if he says so, You can buy all the make up that M.A.C. can make But if you can’t look inside you Find out who am I too Be in the position to make me feel so, Damn unpretty I’ll make you feel unpretty too”
Le message que le titre véhicule et les images fortes du clip vidéo m’ont fait prendre conscience de l’importance de se départir des complexes nourris par la vision eurocentrée de la beauté consacrée par la société. S’aimer et s’accepter telle que l’on est un acte politique en tant que femme noire mais également un acte émancipateur et libérateur.
5. No scrubs
Doit-on encore présenter cette chanson ? « No Scrubs » est le plus gros hit de TLC à ce jour et un des plus gros tubes R’N’B de la décennie 90’s. Bien des années plus tard, le refrain de cette chanson que nous avons toutes fredonné est toujours aussi efficace : « « I don’t want no scrubs, A scrub is a guy that can’t get no love from me, Hangin’ out the passenger side, Of his best friend’s ride, Trying to holla at me. »
Ce morceau est une véritable déclaration de pouvoir et d’assurance des TLC qui expriment à travers les paroles leur désir de ne pas céder aux avances d’hommes qui ne les intéressent pas . Dans une société où les femmes se sentent obligées de répondre aux dragues de prétendants lourds ou inconvenants, « No Scrubs » est une parfaire réponse à tous ces hommes qui pensent à tort que chaque femme qu’ils rencontrent est obligée de répondre à leurs flatteries ou de donner leur numéro. De plus, dans les couplets de la chanson, Chilli explique les raisons pour lesquelles son prétendant ne l’intéresse pas, elle fixe donc les critères qu’elle recherche pour être en couple. C’est quelque chose d’important à souligner car de nombreuses femmes diminuent leurs attentes ou leurs critères en matière de relations amoureuses par peur de se retrouver célibataires. Subissant la pression du mariage ou d’être en couple, certaines femmes préfèrent mettre de côté leurs attentes ou taire leurs critères pour avoir un compagnon.
Dans ce sens, « No Scrubs » véhicule un message d’empowerment, d’estime et de confiance en soi. D’ailleurs à sa sortie, la chanson a inspiré de nombreuses jeunes femmes mais a aussi heurté la sensibilité de beaucoup d’hommes vexés de se voir afficher de la sorte. Pour exemple, un groupe masculin Sporty Thieves a réalisé une parodie du titre intiulé « No Pigeons » qui était une réponse à « No scrubs » et qui pointait du doigt cette fois-ci la gent féminine.
Il ne fut pas aisé de choisir cinq chansons de la discographie de TLC pour illustrer le message féministe du groupe. De nombreuses autres chansons (Girl Talk, Creep, Silly Ho, Hat 2 da Back, ect…) auraient eu leur place dans cette petite liste, preuve qu’à travers leur carrière, T-Boz, Left-Eye et Chilli n’ont eu de cesse de prôner l’empowerment et l’émancipation des femmes dans leurs morceaux. Ces morceaux ont participé à construire ma vision du féminisme, de l’empowerment et de l’égalité des sexes. Ils ont également impacté le regard que je porte sur moi aujourd’hui en tant que femme noire. Grâce à TLC, j’ai réalisé que je pouvais m’émanciper et me libérer des carcans sociétaux qui m’enferment en raison de mon sexe et de ma couleur de peau. J’ai compris que j’avais le droit de m’exprimer, de m’affirmer et de me définir par moi-même et que ma valeur ne dépendait en aucune façon de la perception des autres et de la société.
TLC m’a permis de comprendre qu’en tant que femme noire je suis libre physiquement, mentalement et sexuellement malgré le regard inquisiteur qui peut être porté sur moi. Que j’ai le droit d’exprimer sans honte mes envies et mes désirs de la manière dont je le souhaite. Que mon corps m’appartient et que je ne dois laisser personne exercer un contrôle sur celui-ci. Qu’en tant que femme, je dois célébrer ma sexualité et ne doit pas en avoir honte. Que je ne dois pas me définir à travers le regard masculin, que je dois m’autodéterminer et choisir mon bonheur selon mes propres termes.
Bref, vous l’aurez compris je tire de nombreux enseignements des textes de TLC et ils m’ont profondément marqué et influencé. D’une certaine manière, ils ont contribué à faire de moi la femme que je suis devenue. Mes engagements et les combats que je mène puise leur influence en partie dans les chansons de TLC qui ont rhytmé ma jeunesse.
TLC est un groupe iconique et légendaire. Son héritage musical est immense et continuera à traverser les générations. Les messages et les valeurs véhiculés à travers les chansons du groupe sont universels et leur portée est immense. Toute une génération de femmes, dont je fais partie, ont pris conscience de l’importance de s’épanouir à travers l’acceptation et l’estime de soi grâce à leurs textes.
Au moment où j’écris ces dernières lignes, en fond sonore résonne le flow de la regrettée Left-Eye sur le morceau « Waterfalls ». La fin de son couplet est une parfaite manière de conclure cet article : « Dreams are hopeless aspirations, In hopes of comin’ true
Believe in yourself, The rest is up to me and you. »
A reblogué ceci sur Pensées En Blancs Cassées.
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