Il y quelques mois, j’ai découvert un très beau projet intitulé « Reines des Temps Modernes ». Ce livre qui a pour objectif de faire revivre dix héroïnes, reines et guerrières africaines et afrodescendantes qui ont marqué l’Histoire à travers des femmes actuelles a suscité mon intérêt car, en plus de trouver l’initiative intéressante et innovante, je pense qu’il est majeur de mettre en avant des femmes noires illustres à travers des projets tels que celui-ci. Comme je l’ai souvent écrit sur ce blog, la question de la représentation est primordiale et participe à l’émancipation et à l’estime de soi des femmes noires.
Pour ces raisons, j’ai décidé d’interviewer Wendie Zahibo, l’auteure de « Reines des Temps Modernes » afin d’en savoir plus sur son projet, son parcours et les raisons qui l’ont motivé à s’engager dans cette aventure.
- Peux-tu te présenter en quelques mots? (nom, prénom, âge, profession, ect…)
Je m’appelle Wendie Zahibo, j’ai 25 ans. Je suis née à Marseille, je suis originaire de la Centrafrique par ma mère et de la Côte d’ivoire par mon père mais j’ai grandi en Guadeloupe de mes 3 à mes 18 ans.
Depuis 2 ans maintenant, je vis à Paris. Jusqu’à il y a encore quelques jours, je travaillais en tant que Chargée de Communication pour une ONG. Cependant, depuis ce début d’année 2017, j’ai décidé de donner une chance à mes projets et de m’y consacrer entièrement. Je travaille donc désormais à plein temps sur mon projet Reines Des Temps Modernes et à la création d’une agence de Communication qui s’intitule Creative Tribe.
2. Tu es l’auteur de l’ouvrage “Reines des Temps Modernes”. Peux-tu nous parler de la genèse de ce projet? Quelles ont été tes motivations, buts, objectifs? Comment s’est passé le processus de création?
Reines Des Temps Modernes est un projet qui est né il y a un peu de plus de deux ans maintenant lorsque je vivais au Brésil. J’avais pris la décision de partir m’expatrier 4 mois à Sao Paulo juste à la fin de mes études. Je souhaitais découvrir une nouvelle culture, apprendre une nouvelle langue. Arrivée à Sao Paulo, j’ai eu la chance de vivre dans un quartier aisé de la ville, en quatre mois je n’ai croisé aucun noir dans le quartier si ce n’est les vendeurs de rue, les gardiens d’immeuble ou les femmes de ménages.
Je me suis rendue compte que le Brésil était un pays avec de fortes tensions à la fois sociales et raciales. Les afro-brésiliens qui représentent 80% de la population du pays sont sous voire pas du tout représentés dans les métiers et secteurs qualifiants : médias, politique, justice… Mais en parallèle j’ai découvert qu’il y avait un véritable mouvement mené par les afro-brésiliens pour faire bouger les choses et notamment les afro-brésiliennes qui sont très actives pour les droits des femmes.
Toute cette situation m’a permis de me questionner sur ma propre place dans la société en tant que femme noire. Je pense que ce voyage m’a permis de me poser les bonnes questions sur ce que signifie être une femme noire aujourd’hui quelque soit le pays où l’on vit. Et malheureusement être une femme noire signifie grandir avec très peu de modèles à qui se référer et beaucoup d’obstacles à surmonter. Non pas que ces grandes femmes noires n’existent pas, simplement elles ne sont que trop peu mises en avant. C’est à ce niveau là que je souhaitais faire bouger les choses. J’avais envie de proposer des nouveaux modèles d’identification du passé et faire le lien avec les jeunes femmes d’aujourd’hui.
C’est comme cela que le beau-livre Reines Des Temps Modernes est né. Au Brésil, j’ai écris les textes de différentes héroïnes et à mon retour en France, je me suis lancée dans la phase de conception. J’ai rencontré un de mes partenaires sur le projet Yohan Pedre avec qui on a mis en place le shooting pour les photos. Il a fallu également constituer toute une équipe : photographe, modèle, coiffeuses, maquilleuses, stylistes, accessoiristes… Et ensuite avec Yohan qui est designer graphique, on s’est chargé de la conception de la maquette. Il a ensuite fallu trouver les artisans qui réaliseraient le prototype. Il faut savoir que 5 corps de métier de l’artisanat travaillent sur ce projet : sérigraphe, imprimeur, relieur, compagnon menuisier et gaufreur. Pour résumer aujourd’hui, le beau-livre fait revivre dix héroïnes africaines et afro-descendantes à travers des femmes actuelles grâce à la photographie, le stylisme, le design et la poésie. Il existe deux éditions du beau-livre, une édition simple avec une couverture en toile du marais et une édition royale en bois. Chaque beau-livre étant traduit en français, anglais et portugais.
Mais Reines Des Temps Modernes en deux ans, c’est aussi désormais : une émission web, un site internet, un blog, des événements et d’autres jolies choses en préparation
3. « Reines des Temps Modernes » met à l’honneur dix femmes afro descendantes et africaines. Comment les as-tu choisi? Quelle est celle qui t’inspire le plus?
Au coup de cœur, au feeling. J’aime travailler de cette manière là. J’aime faire confiance à mon instinct, à ce que je ressens à un moment T. Au départ, j’avais une sélection d’une vingtaine d’héroïnes. J’ai pris le temps de découvrir leur histoire, leur parcours, leur vie et ensuite j’ai gardé les dix histoires qui me parlaient le plus.
En ce qui concerne celle qui m’inspire le plus, c’est difficile de choisir entre les dix. J’aime ce qu’elles incarnent toutes. Je dirai peut-être Aminatou de Zaria, une reine-guerrière musulmane originaire du Nigéria qui était passionnée par l’Art de la guerre. A mes yeux, elle casse une multitude de stéréotypes que l’on peut avoir aujourd’hui à l’encontre des femmes noires et/ou des femmes musulmanes.
4. Tu avais mis en place une campagne de crowdfunding pour financer ton projet RTM, sans succès? Comment as-tu vécu cet échec? Qu’est-ce qui t’a donné la force et le courage et de continuer le projet?
Au début, ce n’était pas simple. J’y croyais vraiment. Surtout qu’une campagne de crowdfunding demande énormément d’énergie, j’étais physiquement et psychologiquement épuisée à la fin de la campagne. Mais à aucun moment je n’ai imaginé que cet échec était une fin en soi. Ça n’a jamais été une éventualité. J’ai suivi les conseils de mes proches et j’ai essayé de lâcher prise pendant quelques semaines voire quelques mois.
Je n’aime pas trop le mot courage ou force. Je pense que quand quelque chose nous paraît évident, on fonce quoiqu’il arrive. N’importe qui à ma place qui croirait en son projet de toutes ses forces réagirait de la même manière. Et puis je suis surtout très têtue, je ne prends jamais un “non” pour acquis. Quitte à me casser les dents, il me faut aller au bout. C’est ce qui s’est passé et je n’ai pas encore atteint les objectifs que je me suis fixée donc je suis toujours dans cette phase là.
5. Aujourd’hui, peux-tu nous dire où en est le projet et comment il est possible de se procurer « Reines des Temps Modernes »?
Depuis la campagne de crowdfunding, les choses ont bien bougé. En octobre 2016, nous avons lancé une plateforme de pré commande (www.reinesdestempsmodernes.com) où nous proposons les deux éditions du beau-livre Reines Des Temps Modernes. L’idée était d’obtenir un minimum de 50 pré commandes afin d’avoir les fonds nécessaires pour lancer la production. Nous avons pu lancer une production de 100 beaux-livres et tous les ouvrages ont été vendus pour les fêtes de fin d’année. C’était une très belle manière de finir l’année 2016.
Nous nous préparons actuellement à lancer une seconde phase de pré commande dans les jours qui viennent, donc pour se procurer le beau-livre, il suffira de se rendre sur le site, de passer commande et d’être un tout petit peu patient.
6. « Reines des Temps Modernes » n’est pas seulement un livre mais également un blog. Peux-tu nous en dire un peu plus.
En effet, Reines Des Temps Modernes c’est aussi un blog où je propose des portraits de femmes inspirantes, des articles sur l’autoédition, des poèmes, des textes afroféministes, des conseils de lectures, tout ce qui inspire, motive ou est à l’origine du projet. Depuis quelques mois, je propose à des jeunes femmes de devenir “Ambassadrice RTM” en proposant des articles sur le site. J’avais envie de faire vivre les coulisses du projet au public. Surtout que l’auto édition est une vraie aventure qui plus l’auto édition d’un beau-livre afroféministe. J’aime pouvoir partager mes rencontres, mes inspirations, mes difficultés, mes échecs, mes victoires,ect…
7. Tu parles souvent d’afroféminisme sur la page Facebook de Reines des Temps Modernes. Te considères-tu comme afroféministe et quelle est ta vision de l’afroféminisme?
Oui complètement. Idéalement, j’aimerais dire que je suis “simplement féministe” et idéalement le Féminisme avec un grand F devrait considérer toutes ces questions que l’afroféminisme prend aujourd’hui en compte : questions raciales, de genre, sociale. Je considère que le Féminisme devrait être égal à l’afro féminisme + sino féminisme + arabo féminisme + indo féminisme + musulmano féminisme etc …
Malheureusement, ce n’est pas le cas actuellement. Et c’est la raison pour laquelle l’afro féminisme doit exister pour combler les manquement de ce féminisme occidental qui a bien du mal à prendre en compte toutes les voix, toutes les femmes de notre société actuelle. L’afroféminisme est simplement une réponse forte et intelligente donnée par les femmes noires au féminisme occidental ethnocentré. C’est une réappropriation du discours, de la parole et des actions. C’est une volonté de se faire entendre et surtout d’ « Ouvrir la voix » aux générations futures pour faire référence au film d’Amandine Gay.
Ce qui je trouve génial dans ce mouvement aujourd’hui, c’est que des femmes noires françaises prennent la parole et elles ont la volonté de laisser une trace. Auparavant, il fallait aller chercher ses références du côté des États-Unis, aujourd’hui on peut les trouver en France, en Belgique, à Londres, en Europe de manière générale et même ailleurs dans le monde. C’est important de diversifier le discours et de prendre en compte toutes les expériences.
8. Selon toi, quelles sont les obstacles majeurs auxquels doivent faire face les femmes noires dans notre société actuelle?
Ils sont multiples car dans femmes noires, il y a femmes et noires. Donc d’un côté, il y a le sexisme et le patriarcat de nos sociétés actuelles et de l’autre il y a le racisme. A cela viennent s’ajouter l’homophobie, la pauvrophobie comme dit Mouloud Achour et l’islamophobie pour les femmes qui en plus d’être noire seraient lesbiennes, transgenres, musulmanes ou appartiendraient à une classe sociale inférieure. Autant d’obstacles à surmonter, autant de combats à mener car toutes ces luttes sont intimement liées. Être afroféministe c’est prendre en compte toutes ces luttes et les mettre au même niveau. C’est le concept d’intersectionnalité de Kimberley Crenshaw.
En étant unis, en agissant ensemble tous ces obstacles sont surmontables. C’est une question de temps mais tous les travaux qui vont dans le sens de ces luttes sont déjà une petite victoire. Et je suis ravie et fière quand je vois toutes les femmes qui font bouger les choses tous les jours.
9. On parle beaucoup du manque de représentation et de visibilité des minorités dans l’espace public avec les hastags #RepresentationMatters ou encore #BlackGirlMagic. Reines des Temps Modernes d’une certaine manière participe à visibiliser et valoriser les femmes noires. Peux-tu nous expliquer en quoi cela est très important pur toi et de quelle manière tu as grandi dans un société avec peu de rôles modèles non blancs?
A mes yeux, c’est primordial! C’est important de se sentir représentée, de ne pas avoir l’impression d’être une exception. Montrer qu’un ou une noire qui réussit ce n’est pas une exception, c’est possible, c’est accessible et c’est à la portée de tous. C’est important pour la construction de tout un chacun. C’est important pour la confiance en soi. Quand on voit les problèmes liés à la communauté noire, tel que le blanchiment de la peau ou le défrisage à outrance, on prend conscience de l’importance de la valorisation. Il faut que l’on apprenne à s’aimer et à aimer ceux et celles qui nous ressemblent.
Petite, j’ai souvent été confronté au racisme. Lorsque je vivais en Guadeloupe et qu’on me traitait “d’africaine”, lorsque je partais en séjour linguistique et que je me retrouvais à être la seule noire, ou encore lorsque l’on me traitait de « bounty » parce que j’avais soi-disant l’accent “français”. A l’époque, bon nombre de fois, je me disais que j’aurais aimé être blanche. Aujourd’hui je comprends que la clé face à ce genre de situations c’est la connaissance et l’éducation. Lorsque l’on te dit que tu es moche parce que tu es trop noire mais que tu as vu à la télé une actrice aussi foncé que toi recevoir un César, ces propos t’affectent beaucoup moins. C’est la raison pour laquelle j’adore tous ces hashtags #BlackGirlMagic ou encore #RepresentationMatters, ce sont des munitions que l’on met à la disposition des jeunes et des moins jeunes.
10. Peux-tu nous dire quelle est la femme noire qui t’inspire le plus?
Lorsque j’étais jeune, il y a eu Lauryn Hill tout simplement parce que c’est la première femme à qui je pouvais m’identifier. Je la trouvais belle. Elle savait chanter et rapper. Elle faisait partie d’un groupe composé uniquement de mecs. Elle parlait de l’amour comme personne. Je la trouvais intelligente. Elle avait tout raflé avec son album The Miseduction of Lauryn Hill. Bref, cette femme m’a beaucoup inspiré et accompagné dans tous mes moments de doutes ou de détresse grâce à sa musique. Aujourd’hui les femmes qui m’inspirent sont les femmes qui m’entourent. Essentiellement, ma mère, mes tantes, mes mamies qui à mes yeux sont de vrais lionnes. Je les admire beaucoup pour tout ce qu’elles font. Ce sont de vraies battantes, de vraies guerrières, et elles me donnent envie de ne rien lâcher.
Mes copines aussi m’inspirent pour ce qu’elles sont et ce qu’elles font. Reines Des Temps Modernes m’a réconcilié avec la femme, avec les femmes. J’ai pris conscience du pouvoir et de la force des femmes.
11. Où te vois-tu dans dix ans?
Je ne sais pas où j’aurais posé mes valises mais je pense que travaillerais entre la France, les Etats-Unis, la Caraïbes, le Brésil et l’Afrique. Je pense que je voyagerais beaucoup. Je travaillerais toujours dans le secteur de la Communication. Avec mes partenaires Mathieu et Miguel, on aura fait de l’agence “Creative Tribe” une belle référence en termes d’agence de communication. Reines Des Temps Modernes sera un best-seller et un tome 3 ou 4 sera en préparation. Les émissions #ReineDuJour seront diffusés sur de grandes chaînes. Dans 10 ans, je serai indépendante financièrement et professionnellement. Je serai épanouie tant professionnellement que sentimentalement. Je ferai des choses que j’aime et j’aimerais les choses que je ferais.
Voilà où je me vois dans dix ans. Inshallah !
12. Quels sont les futurs projets pour RTM?
Pour 2017, on prépare la sortie de la saison 2 des émissions #Reine Du Jour. On prépare aussi actuellement plusieurs événements pour le mois de Mars autour du projet. Je pourrai en dire plus d’ici la fin du mois de janvier. Il y a évidemment la seconde phase de pré commande qui va arriver. Et puis il y a deux, trois petits projets sur lesquels je travaille actuellement mais je ne peux en dire plus pour le moment. Ce qui est sûr, c’est que 2017 sera une année chargée.
13. Le mot de la fin?
Tout d’abord, merci à toi, Aïchatou de me permettre de parler de ce projet et de le soutenir.
Et à tous tes lecteurs ou lectrices, si jamais vous avez lu ces quelques lignes et que vous avez des projets en tête auxquels vous croyez dur comme fer mais que vous n’osez pas vous lancez, donnez vous une chance de réussir. Prenez le risque, il n’y a pas meilleurs sensations que d’investir son temps et son énergie dans des choses que l’on aime et auxquelles on croit.
Je remercie infiniment Wendie Zahibo d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. Je lui souhaite beaucoup de succès et de réussite avec son beau projet. Pour en savoir plus sur « Reines des Temps Modernes » ou pour commander un exemplaire du livre, je vous invite à visiter le site internet et la page Facebook afin d’être tenu.e au courant des dernières actualités concernant le projet. De plus, je vous informe qu’une deuxième phase de pré-commande se déroulera vendredi prochain, pour plus d’infos rendez-vous sur les sites cités plus haut.