| Sur le  continent africain, le vocable « féminisme » revêt pour certains un  caractère péjoratif. D’aucuns considèrent que d’une part, le féminisme serait  contraire aux valeurs traditionnelles africaines et que d’autre part, il ne  serait qu’un énième instrument du néocolonialisme occidental. La réalité est  toute autre, ou du moins, elle est beaucoup plus nuancée… 
Les femmes ont, de tout  temps, joué un rôle primordial et central dans les sociétés africaines.  L’histoire du continent est jalonnée de grandes figures héroïques telles que  Ndetté Yalla, la Reine Pokou , la Reine Anne Zingha , la Reine Aminatou de  Zaria , Aline Sitoé Diatta , les Amazones du Dahomey et bien d’autres,… Elles  furent des reines, des conquérantes, des guerrières et des libératrices.  Elles marqué de leur empreinte l’histoire de leurs nations respectives, et  au-delà, celle du continent africain. En outre, elles prirent  part de manière active aux luttes d’Indépendances en organisant des marches  et des manifestations dénonçant le joug colonial. Cependant, leur  représentativité dans les gouvernements des états nouvellement indépendants  fut faible voire symbolique. Le Burkina-Faso fut figure d’exception, en effet  Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabé et ardent défenseur des  droits des femmes, fut un des premiers chefs d’Etat à attribuer à des femmes  des portefeuilles régaliens dans un gouvernement. Plus de cinquante ans  plus tard, une amélioration de la condition des femmes est à observer. L’Afrique  subsaharienne compte en 2014 deux femmes chefs d’Etat (Ellen Johnson-Sirleaf  au Liberia et Catherine Samba Panza en Centrafrique) et une autre à la tête  de l’organisation continentale, l’Union Africaine (Nkosazana Dlamini-Zuma,  originaire d’Afrique du Sud). Au-delà de cela, force est de constater que les  femmes investissent de plus en plus la sphère politique comme le démontrent  ces exemples :  -             Le Rwanda,  avec 60% de femmes, a le parlement le plus féminin du monde devant les pays  nordiques ,pourtant réputés pour être avant-gardistes en matière du droit des  femmes ; -            Le Sénégal a vu le nombre de femmes présentes à  l’Assemblée Nationale passer de 23% à 43% suite au vote en 2010 de la loi  instaurant la parité absolue  pour toutes les institutions partiellement ou  totalement électives ; -            Les Seychelles et l’Afrique du Sud comptent en moyenne  dans leurs assemblées nationales 40% de femmes ; -            Enfin, la Tanzanie  et l’Ouganda se situent aux environs de 35% en matière de représentativité de  la gent féminine dans ces assemblées.     Cependant, malgré ces avancées  notables, les défis à relever restent nombreux. Ainsi, des problématiques  telles que l’alphabétisation, le droit à la propriété foncière, l’excision,  le mariage précoce ou forcé, la mortalité maternelle, la planification et le  contrôle des naissances sont toujours d’actualité, en particulier dans les  zones rurales. Pourtant, ces problématiques furent  prises en compte par les pays africains sous l’impulsion de la Conférence  Mondiale des Femmes à Mexico en 1975 et les pressions des divers mouvements  féministes occidentaux. En effet, la Décennie Mondiale des Femmes (1976-1985)  permit l’émergence des mouvements féministes sur le continent et la prise en  compte des réalités des femmes subsahariennes dans les programmes de  développement et conféra à celles-ci des droits en matière en matière  d’éducation, d’accès aux soins de santé ainsi que le droit de vote. Le poids des  traditions dans les sociétés africaines est un facteur explicatif de la  lenteur de l’évolution de la situation des femmes sur le continent. Une  partie des opinions publiques africaines est souvent réfractaire à des dispositions  permettant l’émancipation des femmes au motif que celles-ci ne seraient pas  en adéquation avec les pratiques religieuses et traditionnelles en vigueur.  Ce fut le cas récemment en Côte d’Ivoire, au Sénégal. En 2010, la  réforme du code de la famille en Côte d’Ivoire souleva de vifs débats dans la  population et conduisit même à un remaniement ministériel. Un des points de  discorde fut la modification de l’article 58 du code qui stipulait dans son  ancienne version que “l’homme est le  chef de famille. Ce dernier devint “la  famille est gérée conjointement par les époux, dans l’intérêt du ménage et  des enfants”. Certains s’opposèrent à cette révision qu’ils jugeaient  trop “occidentale” au motif qu’elle mettait en péril, selon eux, la structure  familiale ivoirienne. De même au  Sénégal, à la veille des élections locales du 29 juin 2014, la ville de Touba,  capitale de la confrérie mouride, fut au centre de la controverse. En effet,  la liste déposée par la ville et appartenant à la coalition présidentielle en  vue du scrutin n’était pas conforme à la loi sur la parité votée en 2010.  Selon un député de la ville, “ il faut  respecter ce choix au nom de la religion, car la parité est contraire aux  principes de l’Islam. (….) c’est donc la loi sur la parité qui ne correspond  pas aux réalités socio-culturelles du pays.” Si seulement l’histoire  s’achevait là… Les femmes de la ville se sont également exprimées sur la  polémique en affirmant qu’elles n’avaient que faire de la parité et qu’elles  respectaient scrupuleusement la décision de leur guide spirituel de ne pas  respecter la parité. La liste fut finalement validée par le Ministère de  l’ Intérieur malgré sa non-conformité à la loi. Ces exemples  sont l’illustration de la difficulté pour les mouvements féministes du continent  à faire valoir leurs revendications dans l’espace public. Par ailleurs, ils  démontrent également que contrairement aux idées reçues, les hommes ne sont  pas les seuls hostiles aux mesures favorisant l’émancipation des femmes.  Certaines d’entre elles sont également opposées aux idées féministes qui ont  pour dessein de défendre leurs droits    et ce, pour les mêmes raisons que leurs congénères masculins  c’est-à-dire par crainte de la perte de repères culturels et celle d’une  occidentalisation des moeurs. Alors quelles  sont les réponses à apporter afin d’améliorer les conditions des femmes  africaines? Le féminisme est-il une solution? A-t-il sa raison d’être en  Afrique?
 Tout d’abord,  il est important de rappeler que le féminisme n’est pas monolithique et homogène.  Dans l’imaginaire collectif de bon nombre d’Africains, en plus d’être une  construction occidentale, le féminisme ne se résume qu’à un groupement de  femmes qui n’a pour seule obsession la destruction du patriarcat.  Le mouvement féministe ne peut être  appréhendé de manière aussi simpliste et caricaturale, celui-ci est traversé  par divers courants aussi multiples que divers, et qui sont sur certains  points divergents et antagonistes. Pour en  revenir l’applicabilité du féminisme en Afrique, celui-ci est une nécessité  sur le continent mais un féminisme en adéquation avec les pratiques  culturelles et religieuses. De plus, j’ajouterais, qu’il faudrait des “féminismes  africains” en raison de la diversité des contextes socio-culturels et de la  pluralité des cultures africaines. La situation des femmes au Sénégal ne  saurait être identique à celles du Nigeria, du Zimbabwe ou du Kenya Il faut  donc des solutions adaptées aux contextes qui le sont, par ailleurs. Toutefois,  reproduire des pratiques féministes occidentales serait une erreur majeure et  aurait un effet contre-productif. Cette réflexion fut également celles des  féministes africaines qui fondèrent en 1977 l’Association des femmes africaines pour la recherche et le  développement qui avait pour but de promouvoir et de défendre les droits  des femmes en Afrique. Cette institution, exclusivement réservée aux femmes  africaines à ses prémices, vit le jour en réaction à l’attitude des  féministes occidentales jugée impérialiste et maternaliste. 
 Les féministes  africaines ne se reconnaissant pas dans la vision universaliste et ethnocentrique  de leurs congénères occidentales, prirent leurs distances avec le mouvement  qui ne prenait pas en considération les réalités locales et les problématiques  spécifiques de l’Afrique. A cet égard, la sociologue sénégalaise  Fatou Sarr parle de “colonialisme  intellectuel occidental”’. Sira Diop,  féministe malienne, se distança également du féminisme occidental en ces  termes : « Si être féministe  c’est lutter pour le droit des femmes, oui, je suis féministe. Mais le  féminisme africain n’a rien à voir avec le féminisme occidental. Nous  n’essayons pas d’imiter les Européennes ou les Américaines. Nous, nous ne  brûlons pas nos soutiens-gorge. Ce n’est pas en brandissant des machettes que  nous allons changer les choses. Nous ne revendiquons même pas l’égalité des  droits avec les hommes. Tout ce que nous voulons, c’est plus de droits et un  peu de temps libre. »
 Inversement, il  est primordial que le droit des femmes ne soit pas toujours sacrifié à  l’autel de certaines croyances traditionnelles et religieuses qui les enferment  dans une précarité sociale, financière et intellectuelle. Au regard de  l’histoire du continent, la sauvegarde des pratiques culturelles, traditionnelles  et religieuses est une initiative noble. Celles-ci constituent une richesse  considérable de notre continent et elles ne doivent en aucune façon être  bradées au nom d’un certain progressisme néocolonialiste qui a pour seul  dessein d’imposer des us et coutumes en raison d’une supposée supériorité  civilisationnelle. Aujourd’hui,  les spécialistes du développement sont unanimes pour déclarer que l’émancipation  de la femme est une des clés majeures du développement du continent. La lutte  contre la famine sera un des défis majeurs dans les décennies à venir, d’ici  2050 la population mondiale aura doublé et les productions agricoles devront  être multipliées par deux afin de pouvoir nourrir tous les habitants de la  planète. La solution adéquate à ce problème pour l’Afrique est  l’autonomisation des femmes. Dans un  continent où le taux de fécondité est de 5,6 enfants par femme selon la  Banque Mondiale, la scolarisation des femmes a une incidence sur le taux de  natalité qui diminue de manière importante. En effet, l’éducation permet une  meilleure maîtrise de leur fécondité par les femmes grâce à l’accès à la  contraception et aux services du planning familial. De plus, la  réduction de la mortalité maternelle est également un corollaire de l’éducation  des femmes africaines. Sur le continent, une femme sur 39 risque de mourir en  donnant la vie en raison d’hémorragies, d’infections, troubles d’hypertension  ou tout simplement de grosses compliquées. L’éducation des femmes permettant  de réduire le nombre de grossesses, ce dernier amoindrit par ailleurs la  mortalité des femmes. 
 Le lien de  causalité entre l’éducation et les problématiques liées au genre en Afrique  est indubitable. Elle impacte manière positive et durable la santé des femmes  et celle de leur descendance. C’est ce que la journaliste américaine Lisa  Palmer, auteur de l’article « La solution contre les famines? Le féminisme » nomme « le  cercle vertueux de l’alphabétisation des filles ». Dès lors, devant  le constat mitigé de l’avancée du droit des femmes sur le continent africain,  il est urgent que les pouvoirs publics africains, les instances régionales et  l’organisation continentale se saisissent de manière volontariste et  courageuse de la problématique du genre sur le continent afin d’en dégager  des solutions adéquates. J’insiste sur le rôle de ces institutions car il  n’est pas de bonne augure de laisser aux institutions internationales, donc  occidentales, le soin de prendre des dispositions voire de les imposer au  risque d’incohérence et d’incompatibilité avec les réalités socio-culturelles  des pays africains. Reléguer la  moitié de la population hors de la sphère publique, la maintenir dans  l’ignorance ou la priver de ses droits les plus élémentaires est plus qu’une  injustice ou un fourvoiement, il s’agit d’une hérésie. Une société qui  exclut, qui ostracise, qui discrimine est une société déficiente. Une société  déficiente ne peut évoluer, au contraire elle ne fera que régresser pour  finir par tomber dans l’abîme. La journaliste et féministe malienne Ramata  Dia s’inscrit dans cette logique en arguant que « sans une révolution par rapport au statut de la femme, l’économie  africaine va continuer à s’enliser ». Elle considère également que  l’émancipation de la femme est  un  préalable à la démocratie en Afrique car « sans une démocratisation de la cellule familiale, sans une libération  de la femme, la démocratie n’a aucune chance en Afrique ». 
 Comme je l’ai  rappelé au début de mon article, les femmes ont toujours  joué rôle majeure dans l’histoire de  l’Afrique, elles furent de tous les combats, de toutes les luttes et furent  les actrices majeures des grands développements du continent. Que ce soit  dans les guérillas d’Algérie, du Mozambique et d’Angola,  et dans les luttes politiques et citoyennes,  au Mali en 1991, où la marche des femmes conduisit à la chute de  l’ex-président Moussa Traoré, en Côte d’Ivoire contre la répression politique  ou en Afrique du Sud où elle se sont battues contre le régime de l’apartheid,  l’apport de la femme aux sociétés africaines est incontestable et inestimable.    Par  conséquent, elles méritent d’être considérées comme des citoyennes à part  entière, de pouvoir jouir des droits qui leurs sont dévolus et de participer  de manière active à la vie de la cité et au développement économique et  social de l’Afrique.  Je conclurais  avec cette citation de Thomas Sankara : “La libération de la femme : une exigence du futur”.
 
 
 
 
 
 Sources :  Nnaemeka O., Eyene C.,   « « Autres » féminismes : Quand la femme africaine  repousse les limites de l’action de la pensée et de l’action  féministes », Africultures,  200/3, n°74-75, p.12-19. Sow F., « Présence continue  des femmes africaines dans l’histoire », Présence Africaine, 2007/1-2-2008-1 n°175-176-177, p.732-737.
 Palmer Lisa, « La solution contre les famines? Le  féminisme », Slate.fr, 16  avril 2014. Savané  M.-A., « Pour une plus grande visibilité du rôle des  femmes », Présence  Africaine 1/ 2007 (N° 175-176-177), p. 727-731.   
 « Mouvements féministes en  Afrique », Revue  Tiers Monde 1/ 2012 (n°209), p. 145-160 Locoh T., Puech I., « Fatou Sow. Les défis d’une féministe en Afrique », Travail, genre et sociétés 2/  2008 (Nº 20), p. 5-5
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test
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La suite de l'article est à la hauteur de mes attentes.Pertinent et critique. J'apprécie que tu aies cité tes sources. Ca prouve que tu t'es documentée.C'est bon pour la crédibilité.
Je ne me suis personnellemnt jamais considérée comme féministe aussi j'ai apprécié que dans ton analyse tu prennes de la distance par rapport au féminisme occidental. Je pense que les femmes africaines doivent trouver leur propre rapport au féminisme , voire même leur propre définition du terme en tenant compte des traditions et valeurs qui sont les notres.
La seule chose qui me titille un peu est de savoir quelle est la finalité de ton action.On ne peut s'empêcher de noter que certains arguments comme le fait que l'éducation aurait une incidence sur la mortalité maternelle (cette notion dit en passant est encore bien plus complexe que ce qui est explicité dans le texte) ainsi que ton analyse et ton écriture ne sont pas du niveau de tous. Or les acteurs clés , les personnes à mobiliser dans cette affaire sont des everydaymen and women. Comment comptes-tu distiller tes idées à ce niveau? As tu prévu un outil de vulgarisation? Ce serait dommage d'en arriver à un Xième livre sur le féminisme, lu par quelques privilégiées pour nourrir de grands débats intellectuels sans vraiment apporter de changement sur le terrain.
Merci en tout cas pour cette délicieuse lecture. Really poud of you!!! Pour tes prochains articles , j'espère que tu aborderas plus en profondeur cette question de l'éducation des femmes ( et des hommes aussi) , leur statut socioéconomique , l'empowerment des femmes africaines, ect. .Les liens ,menaces, opportunités « là-bas chez nous », mais aussi « ici chez nous ». Au plaisir de te lire!
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Très intéressant, merci pour cet article.
Attention toutefois de déconstruire les discours sur le féminisme occidental lui-même, qui souffre également de distorsion antiféministe…
En effet, des ouvrages féministes sur les femmes et les médias (Feminist Media Studies, 2001) ont prouvé le fait qu’à aucun moment dans l’histoire les féministes ont brulé leur soutien gorge ni utilisé la violence comme mode d’action. Cette image de « bra burner » est une anecdote inventée par un journaliste couvrant une manifestation des féministes américaines dans les années 70 pour faire parler de son article probablement. Les femmes présentes ont témoigné que cela n’avait pas existé.
En France on parle également du Manifeste des « 343 salopes », autre distorsion journalistique inventée par Charlie Hebdo en 71 et reprise dans tous les manuels, alors que les femmes parlaient des « 343 » tout court. L’ajout de l’insulte est violent et ne provient pas des femmes.
Ca fait partie des distorsions de l’histoire écrite par les hommes dans un contexte patriarcal (dans les journaux, dans les manuels d’histoire) qui n’a aucun intérêt à ce que les femmes affirment leurs droits. . En fait, il n’y a pas plus pacifiste comme mouvement social que le féminisme. La féministe hargneuse et méchante fait figue de repoussoir pour les femmes qui voudraient affirmer leurs droits, n’importe où dans le monde.
Et de la même façon qu’on dit aux femmes occidentales « ne vous plaignez pas, les vraies femmes qui souffrent sont dans les pays d Sud », on dit aux femmes des anciens pays colonisés « si vous devenez féministes comme les occidentales, vous trahirez votre culture ».
A mon avis, c’est dans l’intérêt de toutes les femmes du monde de déconstruire les discours antiféministes et de s’unir malgré les différences (car on a tellement de points communs dans l’oppression !).
Mais le slogan que je préfère est « Ne me libère pas, je m’en charge »🙂 Beaucoup de femmes partout luttent, merci à ce blog de les rendre visibles.
Lorie.
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Ce commentaire concerne cette citation : Sira Diop, féministe malienne, se distança également du féminisme occidental en ces termes : « Nous, nous ne brûlons pas nos soutiens-gorge. Ce n’est pas en brandissant des machettes que nous allons changer les choses. «
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