« L’habit ne fait pas le moine ». Selon ce proverbe bien connu, l’apparence extérieure n’est pas un facteur déterminant permettant de porter un jugement sur une personne.
Paradoxalement, de tout temps, le vêtement a revêtu une importance particulière dans toutes les sociétés. Reflet du statut social, de l’origine ethnique, de la croyance religieuse, l’habit permet aux individus de se distinguer, de se différencier et de singulariser dans la société.
Cependant, il y a toujours eu une différence de perception du vêtement en fonction du sexe de l’individu qui le porte. En effet, la respectabilité et la probité d’une femme ont toujours été conditionnées par la manière dont celle-ci était vêtue.
Une « bonne » femme se doit d’être habillée de manière « décente » au risque de réveiller les pulsions sexuelles du mâle. Ainsi, à travers les siècles, et dans toutes les cultures, le vêtement fut un instrument d’oppression envers les femmes.
L’actualité nous l’a rappelé cruellement cette semaine. Lundi dernier, des milliers de femmes kényanes ont manifesté dans les rues de Nairobi, capitale du Kenya, pour protester contre l’agression violente d’une jeune femme en raison de sa tenue vestimentaire. Quelques jours plus tôt, la vidéo de cette agression avait fait le tour des réseaux sociaux et avait soulevé une vague d’indignation dans le monde entier. Le hashtag #MyDressMyChoice a été créé afin de revendiquer le droit des femmes à s’habiller de la manière dont elles le souhaitent.
Bien évidemment, des opposants à ce mouvement (des hommes mais également des femmes) ont également fait entendre leurs voix en créant un autre hashtag #MyNudityIsNotMyChoice afin de dénoncer l’accoutrement indécent, selon eux, de certaines femmes et pour exhorter celles-ci à s’habiller de manière plus « correcte ».
Le cas du Kenya n’est pas isolé. Cette semaine également, aux Comores, le député Mahamout Attoumane a soumis une proposition de loi qui réglemente l’habillement des femmes conformément aux préceptes de l’Islam. Le texte prévoit que les femmes doivent se vêtir tout le corps, ne laissant apparaître que le visage, les mains et les poignets. Selon lui, l’exhibition du corps de la femme inciterait à la violence sexuelle.
Ces deux cas illustrent parfaitement une situation de fait qui prévaut dans beaucoup pays africains, c’est-à-dire l’antagonisme « supposé » entre le respect d’un socle de valeurs religieuses ou traditionnelles et l’émancipation des femmes. Les deux seraient forcément antinomiques en raison de la prééminence de ces valeurs religieuses ou traditionnelles.
Toutefois, les pays du Sud n’ont pas l’apanage de la discrimination à l’égard des femmes. Loin s’en faut.
Malgré les avancées importantes résultant des luttes féministes, les femmes occidentales sont également stigmatisées en raison de leurs tenues vestimentaires.
Cet état de fait motiva un présentateur australien à se livrer un acte plutôt insolite. Il porta le même costume pendant une année entière, dans l’indifférence générale, dans le but de dénoncer le sexisme dont sont victimes ses collègues féminines. Selon lui, celles-ci sont sujettes à toutes sortes de commentaires désobligeants sur leurs tenues vestimentaires tandis que lui n’est jugé exclusivement que sur son travail.
On se souvient également de l’ex-ministre française Cécile Duflot, s’exprimant à l’Assemblée Nationale sous les sifflets des députés masculins en raison de la robe qu’elle portait ce jour là.
On dit que « l’habit ne fait pas le moine ». Force est de constater que cet adage ne s’applique pas aux femmes. Les situations décrites ci-dessus sont révélatrices de l’injustice profonde subie par celles-ci, sommées de soumettre au diktat des hommes en ce qui concerne la manière dont elles doivent se vêtir au risque d’être dénigrées et ostracisées par ces mêmes hommes et la société en général. Ce phénomène, appelé en anglais « slut shaming », consiste à rabaisser et à stigmatiser une femme à cause de son habillement ou de son comportement sexuel.
Depuis la nuit des temps, le corps féminin a été synonyme de péché et de tentation. La femme se doit de le couvrir en signe de pudeur et également afin de ne pas réveiller les pulsions bestiales de l’homme. Cet homme, qu’on assimile à un animal, n’étant pas capable de réfréner ses envies et inapte à placer sa raison au dessus de ses péchés inavouables. Cet homme, dont les pensées, les valeurs et les opinions sont les référents auxquels la femme doit se conformer afin d’être validée. Cet homme qui a réussi l’entreprise de faire intégrer à la femme, non seulement le fait qu’elle ne lui est pas égale, mais également qu’elle est coupable de ses propres turpitudes.
Inversement, pourquoi n’a-t-on pas appris aux hommes à réprimer leur bestialité ? Pourquoi n’a-t-on pas appris aux hommes qu’aucune femme ne mérite d’être agressée sexuellement peu importe la tenue qu’elle porte ? Pourquoi n’a-t-on pas appris aux hommes à ne pas ostraciser ou stigmatiser une femme en raison de la longueur de sa jupe ? Pourquoi ?
Il faut changer de paradigme, l’homme ne doit plus être le référent absolu en toutes choses lorsqu’il s’agit du droit des femmes et de leur représentation. Il est nécessaire pour qu’il y ait une égalité des droits, une remise en question profonde des comportements masculins à l’égard des femmes.
Il est important de préciser que le fait de défendre le droit des femmes à s’habiller comme elles le souhaitent ne signifie en aucune manière défendre la débauche ou la vulgarité. Il s’agit de la défense du droit des femmes à disposer de leurs corps, ce qui est un droit fondamental
De plus, les hommes ne sont pas les seuls à devoir se remettre en question sur cette question. Beaucoup de femmes ont intégré l’idée que leur tenue vestimentaire était un gage de leur respectabilité et font également du « slut shaming » envers les autres femmes qui se distinguent d’elles. Il est regrettable qu’elles se rendent complices d’une oppression dont elles-mêmes sont les victimes.
Enfin, une prise de conscience et une réflexion approfondie s’imposent à tous afin de sortir d’un système d’oppression multiséculaire dont les victimes constituent la moitié de l’humanité. Il nous incombe donc de faire en sorte que le vêtement de la femme ne soit plus l’incarnation de préjugés immémoriaux mais qu’il retrouve sa finalité première, celle d’embellir celle qui le porte.