Interview de Cornélia Glèlè, réalisatrice béninoise : « Il y a de plus en plus de violences sur les femmes et le cinéma est un peu complice. »

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Durant mon séjour à Ouagadougou en novembre dernier dans le cadre de l’atelier sous-régional organisé par l’ONG Équilibres et Populations, j’ai fait la connaissance de Cornélia Glele, activiste, réalisatrice et blogueuse béninoise. A cette occasion, nous avions échangé sur son engagement en faveur du droits des femmes et du cinéma dans son pays. J’ai souhaité l’interviewer afin qu’elle nous en dise plus sur son parcours, ses activités et sur la situation actuelle au Bénin en matière des droits des femmes.

  1. Cornélia, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis Cornélia Glele. Je  porte plusieurs casquette dans le monde de l’audiovisuel. Je suis journaliste, réalisatrice de film documentaire, blogueuse cinéma (ecranbenin.net), voix off et directrice du festival international des films de femmes de Cotonou. Socialement, je suis engagée au sein du Réseau ouest-africain des jeunes femmes leaders qui fait la promotion de la femme et la lutte contre les différentes violences que subissent les femmes.

2. Tu es l’auteure et la réalisatrice de deux films documentaires « Les tams-tams du silence » et « Blanc-Noir heureux ». Peux-tu nous parler de ces deux projets et nous expliquer comment est née cette passion pour le cinéma ?

Au départ je voulais juste faire du journalisme puisque je ne connaissais pas vraiment le cinéma. Après mon Bac, je me suis inscrite dans une université pour faire du journalisme et c’est là que j’ai reçu des cours de réalisation de documentaire. J’ai découvert petitement l’industrie du cinéma et je me suis engagée sur cette voie. Pour mon premier film « Les Tam-tams du silence » j’ai voulu vendre la destination Bénin (mon pays), montrer un truc qu’on ne trouve qu’au Bénin. C’est donc en faisant des recherches avec mon équipe qu’on a découvert le Sato qui est un rythme culturel propre au Bénin. Ce sont des Tam-tams qui sont grands d’environ 1.70cm et qui sont joués dans le centre du Bénin uniquement par des orphelins. Les cérémonies ou le Sato est joué attirent beaucoup de touristes et de curieux.

Pour le second film « Blanc-Noir heureux » j’ai voulu mettre de la lumière sur les personnes albinos qui sont parfois discriminés au Bénin. Mais je n’ai pas voulu voir de lamentation dans mon film donc je suis allée vers albinos qui assument leur teintes, qui ont pu socialement se construire et s’imposer afin qu’à travers eux, tous les albinos perçoivent un message d’espoir.

3. En tant que jeune femme, as-tu fait face à des obstacles ou des difficultés pour t’imposer dans le milieu du cinéma béninois ? Si oui, quelles sont-elles ?

Le cinéma au Bénin est déjà une difficulté qui ne dépend pas du genre. C’est une industrie très peu développée donc s’y imposer n’est pas facile. J’ai pris l’habitude de prendre chaque difficulté comme un défi à relever. Donc quand j’ai remarqué que les médias accordaient peu de place au cinéma béninois j’ai créé un blog pour pallier à cela. J’ai remarqué que la télévision béninoise ne consommait pas les films béninois donc j’ai utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer cela et progressivement ils sont entrain de corriger cela. Le cinéma béninois ne brille pas encore comme je veux mais je fais confiance en la nouvelle vague de cinéastes aidés des anciens pour faire bouger les choses.

4. Quelle est la place des femmes réalisatrices dans le cinéma béninois ?

Comme dans beaucoup de pays, la femme n’a pas un statut particulier. Les femmes réalisatrices béninoises sont moins nombreuses que les hommes. J’ai l’impression que beaucoup pensent que les femmes sont faites pour être de superbes actrices et pas réalisatrices. Il y a quand même quelques warriors qui se battent pour se faire un nom.

5. En 2017, tu as créé un blog nomme Ecran Benin consacré au cinéma africain. Peux-tu nous en dire quelques mots ? Qu’est-ce qui t’a motivé à vouloir parler de cinéma sur la toile ?

J’ai créé EcranBenin après une frustration.  Au Fespaco 2017, le Bénin a remporté l’Etalon d’Argent (deuxième plus grand prix).  Je n’ai pas aimé comment cela a été célébré au Bénin. Quelques médias en ont parlé et deux jours après ce prix était déjà oublié. J’ai pensé qu’on ne l’avait pas assez célébré. Alors je me suis dit il faut corriger ça. Il faut qu’on parle plus du cinéma béninois d’abord et du cinéma africain ensuite.  Quand vous tapez le nom d’un film européen ou américain dans Google vous avez tellement d’information sur ce dernier mais quand c’est un film africain il faut que le film fasse un certains parcours pour qu’on ait quelques articles et critiques sur ce dernier. Donc j’ai voulu corrigé ces inégalités avec mon blog et c’est ce que j’essaie de faire. Donner la parole aux cinéastes qui n’ont pas de page Wikipédia ou de 1 million de résultats sur eux après des recherches.

6. Tu organises la 1ère édition du Festival International des Films des Femmes de Cotonou du 13 au 17 septembre 2019 dont le thème est « Quand le cinéma aborde les violences faites aux femmes ». Pourquoi organiser un tel projet ? Pourquoi as-tu choisi cette thématique en particulier pour la 1ère édition ?

En septembre 2019, ma formidable équipe et moi (je ne travaille pas seule) organise un festival de film de femmes au Bénin déjà parce qu’il n’y en a pas. Et comme je l’ai dit plus haut il n’y a pas une considération spéciale pour les femmes cinéastes. On a donc voulu faire venir à Cotonou des femmes  réalisatrices afin qu’elles partagent leurs expériences entres elles, afin de montrer au public cotonois le travail accompli par les femmes et bien sûr valoriser les femmes durant quelques jours. On fait un focus sur comment le cinéma aborde les violences parce qu’on le veuille ou non, beaucoup de citoyens lambda reproduisent parfois des choses qu’ils ont vu dans des films surtout les plus jeunes. Il y a de plus en plus de violences sur les femmes et le cinéma est un peu complice. On veut donc se réunir autour de ce thème pour réfléchir sur comment aborder les violences afin de construire un monde de paix.

7. Comment va se faire la sélection des participantes ? Quelles sont les critères pour participer au festival ?

Pour la sélection, nous avions lancé un appel à film à retrouver sur ecranbenin.net. Nous recevons les films courts-métrages réalisés par les femmes africaines (pour la séléction  compétition) et non africaine (pour la sélection hors-compétition). Elles peuvent également nous contacter sur [email protected] pour plus de renseignement.

8. Cornélia, tu es une féministe convaincue. A travers tes engagements et tes réalisations, tu œuvres pour les droits de femmes de ton pays depuis des années. Comment vois-tu évoluer les choses dans ce domaine ? Y a-t-il des avancées ? Quels sont les droits qu’il reste à acquérir pour les femmes béninoises ?

Ce n’est pas rose mais ce le tableau n’est pas noir non plus. Aujourd’hui de plus en plus de femme s’affirment et sont au-devant de la scène. Mais elles restent très minoritaires. L’un des plus grands défis au Bénin selon moi c’est la représentativité des femmes dans les instances de prises de décisions. Je veux par exemple voir une femme ministre de la défense et un homme ministre des affaires sociales. Il faut également travailler pour que les femmes bénéficient des mêmes années d’éducations que les hommes. Beaucoup de petites filles rentrent à l’école pour en ressortir juste après le primaire.

9. Pour terminer, je te demanderais que dirais-tu à une petite fille africaine qui souhaiterait se lancer être réalisatrice comme toi ?

Je lui dirai de commencer à voir des films. C’est la base. Ensuite de travailler afin d’avoir son  BAC pour s’inscrire dans une université de cinéma. Je lui dirai aussi de s’armer et de travailler pour que personne ne tue ou n’étouffe son rêve.

10. Le mot de la fin ?

Merci à ton blog pour le grand travail de lumière sur l’afroféminismequ’il fait. Merci de participer à ce travaille de valorisation des femmes et j’espère qu’en conjuguant nos efforts ensembles nous bâtirons une Afrique forte, un monde fort et pour les femmes cinéastes on attend vos courts métrages pour le FIFF Cotonou.

Je remercie Cornélia d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. J’admire la manière dont elle utilise son art pour faire passer des messages et tenter de changer la société béninoise. De plus, elle fait partie de cette génération de jeunes féministes africaines qui œuvrent pour l’émancipation des femmes de leurs pays dans la continuité de leurs aînées tout en utilisant les moyens de notre époque pour visibiliser leurs luttes. Je souhaite beaucoup de succès à Cornélia dans ses futures activités, en espérant que son parcours inspire de nombreuses jeunes filles africaines à s’engager dans la lutte pour les droits des femmes sur le continent. 

2 réflexions sur “Interview de Cornélia Glèlè, réalisatrice béninoise : « Il y a de plus en plus de violences sur les femmes et le cinéma est un peu complice. »

  1. Great interview, really to the point and insightful. I took the time to translate this because very few people are as hard working and committed to their endeavor as Cornelia is. This interview only confirms it and opens up to the wonderful journey this woman is taking, and we should all be excited (and carefully watching). Great job, Cornelia!

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