Middle Fingers Up!

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Il y a quelques semaines, j’ai été contacté par Hanna Agbanrin qui souhaitait publier un texte sur son expérience en milieu scolaire en tant que jeune femme noire en France et les préjugés dont elle était victime. Voici son témoignage :

Malcolm X disait:
La personne la moins respectée aux Etats- Unis est la femme noire. 
La personne la moins protégée aux Etats- Unis est la femme noire. 
La personne la plus négligée aux Etats- Unis est la femme noire.
 Le pire quand on boit, ce n’est pas tellement de vomir, mais plutôt le flou artistique que notre soirée constitue au réveil. Après un examen, comme toute adolescente qui se respecte, je suis allée à une soirée chez des amis, boire peut être un peu plus que de raison, me désinhiber et accueillir comme il se doit l’été. Le fait était que moi, j’étais parfaitement détendue, cet examen n’était qu’une formalité, et j’avais une idée de mes 4 futures années: deux dans le meilleur Institut d’Etudes Politiques de France, dans un programme inédit en anglais, puis deux à New York, à Columbia University. Autant vous dire que j’avais envie de fêter mon admission, tout comme les dix huit ans de mon meilleur ami.
L’alcool a coulé a flot, on a dansé, on a ri. Puis après ce verre de trop, le monde a brusquement vacillé dans une sorte de maëlstrom inouïe. Oui, l’ivresse. J’en étais venue à démontrer que j’étais sobre en répondant à des questions de mathématiques, mais bon, ça c’est une autre histoire.
Au bout d’un moment, je discutais avec un invité qui voulait aussi aller à Sciences Po. Le fait était qu’il obtiendrait ses résultats le lendemain et qu’il était dans cette phase de remise en question qui précédait l’obtention du résultat qui déterminerait le reste de votre vie. Étonnamment, je me souviens très bien de notre discussion: il m’a dit que si j’apparaissais à nouveau sur la liste, il risquerait de m’envoyer un message plutôt haineux.  Je l’ai pris à la rigolade, tout paraît plus drôle quand on boit. Alors, j’ai rétorqué sur le même ton que s’il n’était pas pris, c’est qu’il ne le méritait probablement pas. Il ne lui en fallut pas moins pour lancer la réplique qui ferait de lui le type ridiculement jaloux: « Si tu es prise à Sciences Po, c’est uniquement parce que tu es noire! » En voyant ma mine complètement perdue, il s’empressa d’ajouter: « Ils ont des quotas! »
Bon, ok, j’aurais pu préciser au début que je suis noire, que j’ai toujours été la seule femme noire dans ma classe, et que donc je constitue une sorte de mystère aux yeux de mes camarades. Vous voyez, ceux qui n’ont jamais été dans ma classe, quelle image ont-ils des femmes noires? Ils n’en connaissent pas. Pour eux, une femme noire est ce cliché servi à longueur de journée dans les séries, films, livres. La femme noire existe toujours à travers un autre personnage: c’est la meilleure amie arrogante, la femme d’un magnat de l’immobilier. Dans les autres cas, elle n’est qu’un objet hyper-sexualisé, une créature exotique. C’est pour cela que l’on a du mal à expliquer qu’une femme comme moi existe à part entière. En même temps, il suffit de considérer l’univers dans lequel j’évolue depuis ma naissance. Et ce type, blond aux yeux bleus, comment peut-il seulement comprendre ce que c’est que de s’adapter, se battre pour être reconnue comme étant une personne à part entière?
Bref, ce que je lui ai répondu est probablement confus, et a dû sortir sous forme de hurlements, entrecoupés par des pleurs. Donc du genre « Connard, battue pour, difficile, sale privilégié ». Alors voici ce que j’aurais répondu sobre :  « Sors de ton cocon deux minutes, sors de ta carapace deux secondes, de ce cliché du pauvre élève méritant qui s’est fait voler sa place par une fille moins qualifiée. Une fille qui ne doit son admission qu’à sa couleur de peau. Sors de ton cocon, ici c’est la France! Et en France la ségrégation positive basée sur des critères ethniques, ça n’existe pas! Laisse moi te rappeler une chose, toi et moi, nous sommes dans le même lycée, un lycée privé, ce qui exclut la ségrégation positive basée sur critères sociaux. Toi et moi, nous vivons dans la même ville, ville constituée pour la plupart de classe moyenne supérieure. Toi et moi, nous appartenons à la même sphère sociale. La différence? Nos genres. Nos couleurs de peau. Tu es un homme, un homme blanc, blond, aux yeux bleus, tu es conforme, accepté par tes pairs. Dans la rue, personne ne te regarde de travers si tu mets un jogging. Je suis une femme, une femme noire, aux cheveux crépus et noirs, aux yeux marrons. Je suis non conforme. Gare à moi si je mets un jogging ou un rouge à lèvre trop clinquant. Peu importe ce que je fais, je suis souvent regardée avec méfiance quand je vais dans les beaux quartiers. Alors, par définition, le privilégié, c’est toi. Est-ce que ça me révolte? Bien sûr, mais que puis-je y faire? »
 C’est là qu’intervient l’inlassable refrain que tout enfant noir connait par coeur : » Tu dois travailler deux fois plus qu’eux pour obtenir la même reconnaissance. » Je dois faire la différence. Alors, depuis que je suis dans ce collège, je me bats pour garder les notes les plus hautes de la classe. Je me dope au travail et au labeur, simplement pour être sûre d’avoir une place, aussi insignifiante soit elle dans le système scolaire. Je me dope pour réaliser mes rêves. Alors, ce n’est pas arrogant de ma part de clamer que je suis la meilleure élève du lycée. Ce n’est pas arrogant, c’est un fait. Et c’est uniquement pour cette raison que j’ai été prise. Parce que je me suis battue, imposée.
Combien de temps m’a-t-il fallu pour obtenir une quelconque reconnaissance? Il aura fallu trois ans pour que le directeur retienne ne serait-ce que mon prénom. Pour que le directeur cesse de dire , « Je présume que le meilleur élève de la classe est X. X étant asiatique, pas surprenant qu’il soit une tête de classe. » Alors, quand j’ai levé la main ce jour là, il aurait fallu capturer ne serait-ce que la surprise dans son regard.
Je tiens à préciser bien sûr que je ne pense pas que mon directeur, ou que les gens de mon entourage soient racistes, bien sûr que non. Loin de là, il m’a par la suite permis d’obtenir un stage par exemple. Ce que je dénonce, c’est les préjugés, ces idées préconçues qui vous empoisonnent l’esprit, le raisonnement, le jugement.
Ce qui m’a émue néanmoins, c’est les autres invités à la fête. Invités qui sont venus me voir, me féliciter pour mon admission, et qui l’ont envoyé au diable. Invités qui m’ont assuré que c’était mon travail, et uniquement mon travail qui m’a assuré ma place dans cette école. Et c’est ce qui m’a donné espoir.  J’ai espoir et c’est pour cela que je vais continuer à mener ce combat. Ce combat qui me tient à coeur, ce combat qui vise à jeter la lumière sur cette obscurité régnant sur nous autres femmes noires. Qu’on me regarde de travers si je ne suis pas conforme, je vous renverrais mon plus beau sourire. Qu’on estime que ma réussite n’est due qu’à ma couleur de peau, je vous prouverais que ma couleur ne me définit pas. Je ne suis pas une couleur, je n’existe pas à travers le regard de quelqu’un. Je suis une personne en tant que telle, et ceux qui diront le contraire ne me tireront pas vers le bas. 
 Je me range aux côtés des afroféministes: Toni Morrison, Angela Davis, Maya Angelou, et la contemporaine Chimamanda Ngozi Adichie, et la chanteuse Beyoncé. J’y crois, dur comme fer. Black Girl Magic!  Comme le dit si bien Beyoncé : « Je vais continuer à courir, parce que les gagnants ne s’abandonnent pas. »
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