INTERVIEW : SYLVIA SERBIN, AUTEURE DE « REINES D’AFRIQUE ET HEROÏNES DE LA DIASPORA NOIRE. » DEUXIEME PARTIE

Voici la deuxième partie de l’interview que Sylvia Serbin a accepté de m’accorder. Dans cette partie, elle parle de la falsification dont son ouvrage fut l’objet, de la place de la femme en Afrique et du féminisme.

4. Votre ouvrage fut l’objet d’une contrefaçon par un éditeur allemand. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

Le partenaire allemand de mon éditeur français a en effet publié sans mon accord - mais sous mon nom et en gardant le titre original, une falsification de Reines d’Afrique dont ils ont illégalement modifié le contenu en supprimant plus de 300 paragraphes présents dans la version française, pour les remplacer par des clichés racistes ridiculisant des grandes figures historiques présentées dans le livre et qualifiant des Africains de cannibales. Sachant qu’il y a des lois européennes qui protègent les auteurs et la propriété intellectuelle, j’ai entrepris une action en justice en France pour faire bloquer la diffusion de cette contrefaçon et demander la résiliation des contrats d’édition pour atteinte à mon droit moral. Le livre avait en effet suscité une grosse polémique en Allemagne, en Autriche et en Suisse où un grand nombre de lecteurs afro-germaniques choqués de ce qu’ils y avaient trouvé,s’était offusqué du fait qu’une intellectuelle noire avait osé écrire de telles inepties.

Comme je ne connaissais pas l’éditeur allemand Peter Hammer Verlag, je me suis retournée contre mon éditeur français, Sépia, garant -selon notre contrat d’édition, de l’intégrité de l’œuvre que je lui avais confiée. Eh bien, la justice française a dû estimer qu’en tant qu’auteure noire je ne devais sans doute pas bénéficier de la protection de la Loi. Les tribunaux, choisis par Sépia, ont émis une jurisprudence discriminatoire – de l’avis de nombreux spécialistes – refusant la résiliation du contrat et l’arrêt de la contrefaçon, et ont ainsi dédouané les éditeurs qui gardaient le droit de continuer à faire ce qu’ils voulaient de mon œuvre, et discréditer mon nom. J’ai donc été déboutée et empêchée d’aller en Cassation. Ça a été un vrai traumatisme pour moi car je ne m’attendais pas du tout à ça dans l’autoproclamée « Patrie des droits de l’homme et du droit d’expression ». Mon avocat français, un homme de grande expérience, m’a avoué n’avoir jamais vu ainsi bafouer la loi de toute sa carrière. J’ai vécu cette manœuvre des deux éditeurs et la surprenante décision de la justice française presque comme un avertissement lancé à ceux qui prétendraient se réapproprier leur histoire en refusant de s’aligner sur le récit colonial construit sur l’Afrique.

Le plus troublant c’est qu’aucun média français n’a voulu évoquer l’affaire – qui appliquée à un auteur blanc aurait sans conteste suscité un véritable tollé. Heureusement, lors d’une conférence à Vienne où j’avais été invitée, un journaliste afro-autrichien m’a interrogée, et c’est là que j’ai pu expliquer que ce n’était pas moi qui avais écrit les chapitres incriminés et que l’ouvrage avait été publié dans mon dos alors que j’avais informé l’éditeur Sépia que je cherchais à me le faire traduire (je ne comprends pas l’allemand) pour en vérifier le contenu. Les intellectuels présents à la conférence ont aussitôt décidé de lancer un appel au boycott dans l’espace germanophone, contre les pratiques scandaleuses de l’éditeur Peter Hammer Verlag. L’ampleur de la mobilisation a contraint celui-ci à cesser de diffuser sa contrefaçon, par contre très bien accueillie par son public blanc. Conclusion de cette histoire : avant, on nous lynchait quand on osait s’exprimer, aujourd’hui on cherche à nous museler, dans la plus grande indifférence.

5. On constate aujourd’hui un recul important de la place de la femme en Afrique par rapport à la période précoloniale. Comment expliquez-vous cela ? Comment y remédier selon-vous ?

Je ne sais pas si on pourra y remédier, mais il est certain qu’une meilleure connaissance de notre histoire pourrait nous y aider. Quand on s’intéresse au statut des femmes dans l’Afrique précoloniale, on peut constater que dans certaines sociétés - pas toutes - elles disposaient d’un réel pouvoir, que leur influence auprès des chefs était reconnue et qu’elles pouvaient intervenir dans les grandes décisions concernant la communauté villageoise sans que leur autorité soit contestée. Même sur le plan économique, des femmes commerçantes ou productrices agricoles disposaient d’une réelle autonomie à des périodes antérieures à la colonisation.

Mais avec l’introduction sur le continent africain d’influences culturelles et religieuses extérieures, comme l’islam qui a infériorisé le statut de la femme, et la religion catholique imposée par des sociétés européennes patriarcales qui estimaient que la femme n’avait pas sa place dans l’espace public, on a renvoyé la femme africaine à ses fourneaux ! Au moment de la colonisation, des sociétés où le rôle de la femme était jadis valorisé ont progressivement bridé la latitude dont elle disposait, au fur et à mesure de l’acculturation des nouvelles élites à la civilisation occidentale. Désormais, seul le pouvoir masculin devait être valorisé. Et c’est ainsi que les femmes ont perdu leur influence.

C’est difficile aujourd’hui de retrouver dans nos sociétés modernes les positionnements d’antan. On a commencé, dans nos pays africains, à redonner un peu de visibilité aux femmes seulement quand, dans les années 1975, les Nations Unies, à l’instigation des féministes américaines et européennes, ont décrété l’Année internationale de la Femme, et ont exigé de leurs pays membres qu’ils concèdent au moins un siège ministériel à leurs citoyennes. De ce fait, les activistes africaines ont naturellement considéré qu’elles devaient cette avancée aux occidentales. Mais il faut qu’elles sachent que dans le passé, leurs ancêtres avaient eu une expérience de pouvoir bien avant les occidentales. Mais cela a été occulté.

On a l’exemple de personnages tels que la reine Nzinga d’Angola qui, au 17e siècle, a résisté pendant près de 40 ans aux tentatives d’annexion portugaise de son royaume ; ou bien les Amazones de l’ancien royaume du Dahomey qui, du 18e au 19e siècle,ont guerroyé au service de leur pays. Plus près de nous dans le temps, des femmes se sont investies dans des luttes pour l’indépendance ou dans les guerres de libération nationale en Angola, en Guinée Bissau, au Mozambique, ainsi que contre l’apartheid en Afrique du Sud. Malheureusement,on a enterré les sacrifices de ces Africaines du passé.

 6. Vous considérez-vous comme féministe ? Pourquoi ?

Le mot féministe est tellement galvaudé et il recouvre tant de causes différentes, et parfois même des excès, que je ne suis pas sûre de pouvoir vraiment m’y retrouver. Je sais que je refuse les discriminations envers les femmes, les barrières auxquelles elles peuvent être confrontées parce que femmes ; je revendique qu’elles disposent des mêmes droits et des mêmes libertés que leurs concitoyens masculins et qu’elles puissent avoir les mêmes chances d’épanouissement et d’évolution dans la société. Et bien entendu, je suis consciente d’être chanceuse de vivre dans un pays assez respectueux des femmes, et où la sensibilisation pour les droits des femmes a permis de faire évoluer les mentalités et la société en faveur de libertés qu’on n’avait pas avant.

Toutefois, je trouve qu’il y a parfois trop d’excès au nom du féminisme. Surtout aujourd’hui. Prenons l’exemple d’un groupe comme les FEMEN qui se proclame féministe. Je n’adhère pas à leur façon vulgaire d’étaler leurs seins nus sur la place publique ou dans des manifestations pour faire entendre des revendications dont l’opinion publique ne retient d’ailleurs pas grand-chose, hormis le fait qu’elles avaient les seins à l’air ! Je trouve que c’est un manque total de respect pour la femme que d’exposer ainsi sa nudité comme un morceau de viande sur un étal de boucher. Comme si les femmes n’étaient pas capables de trouver d’autres moyens d’expression pour défendre leurs causes. Un tel degré de provocation ce n’est pas du féminisme, mais plutôt de l’exhibitionnisme. Donc je pense être tout simplement une citoyenne plutôt pragmatique,qui n’aime pas se laisser enfermer dans un cadre pouvant sembler réducteur selon l’interprétation que la personne que vous avez en face de vous se fait du féminisme.

A suivre…

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