INTERVIEW : SYLVIA SERBIN, AUTEURE DE « REINES D’AFRIQUE ET HEROINES DE LA DIASPORA NOIRE ». PREMIERE PARTIE

Le mois de mars est placé sous celui de la Femme. A l’instar de la Journée Internationale de la Femme le 8 mars, le Mois de l’Histoire des Femmes est l’occasion de célébrer les contributions et accomplissements des femmes dans notre société et à travers l’histoire.

A cette occasion, j’ai choisi de mettre à l’honneur une femme d’exception nommée Sylvia Serbin,auteure de l’ouvrage « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire »qui retrace l’histoire et le parcours de grandes figures féminines de l’Afrique et de sa diaspora.

Ce livre revêt une grande importance pour moi car en tant que jeune femme noire ayant grandi en Europe, je n’ai eu de que peu de modèles auxquels m’identifier durant ma jeunesse, hormis dans mon entourage familial. Plus tard, en m’intéressant à l’histoire du continent africain, les seules figures historiques que je découvris étaient essentiellement des hommes. Aucune femme. Je finis par croire que les femmes n’avaient pas joué de rôle particulier dans l’histoire de l’Afrique.

Jusqu’à ce que je découvre l’ouvrage de Sylvia Serbin il y a quelques années et ce fut le CHOC!!! Je fus surprise, émue et bouleversée à la lecture de ce livre qui me permit enfin de connaître le rôle déterminant et prépondérant que les femmes jouèrent dans leurs communautés et dans l’histoire du continent.

C’est pour cette raison que j’éprouve une grande admiration pour le travail de Sylvia Serbin et que j’ai souhaité l’interroger sur son parcours, les raisons qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage, le féminisme et sa vision de la place de la femme en Afrique.

Voici la première partie de l’interview qu’elle a accepté de m’accorder:

  1. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots?

Journaliste, historienne et écrivain française d’origine afro-antillaise, je suis l’auteur de l’ouvrage Reines d’Afrique et héroïne de la diaspora noire, paru en France en fin 2004 (éditionsSépia).Je suis née et ai grandi au Sénégal. Après des études d’histoire et de journalisme à Paris, j’ai commencé ma vie professionnelle à Radio France où j’ai été la première journaliste noire. J’ai ensuite poursuivi ma carrière dans la communication d’entreprise, notamment en Côte d’Ivoire où j’ai vécu 14 ans, puis à Paris où j’ai travaillé -entre autres, pour l’Agence de la Francophonie.

Par ailleurs, investie dans la vie locale de ma commune près de Versailles pendant treize ans comme conseillère municipale, jusqu’en 2014, j’ai aussi fait partie des rares femmes noires à avoir été élues dans la France hexagonale.

Au total, j’ai passé une trentaine d’années sur le continent africain dont je connais de nombreux pays, et autant en France. J’ai aussi collaboré à différents programmes de l’UNESCO, notamment l’Histoire générale de l’Afrique et, plus récemment, à un projet pédagogique sur des femmes noires dans l’histoire, consultable sur le site de l’UNESCO, ainsi qu’à une publication sur les résistances féminines en Afrique. Enfin, j’ai donné des conférences dans différents pays d’Europe, d’Afrique, des Caraïbes et au Brésil,autour du thème de mon livre.

  1. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire l’ouvrage « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » ?

Mon livre « Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire » présente 22 portraits de femmes qui ont vécu de l’antiquité jusqu’au début du 20e siècle, et qui ont joué un rôle marquant dans l’histoire d’une quinzaine de pays d’Afrique ainsi qu’aux États-Unis, aux Antilles et à Madagascar.On y trouve des reines qui ont dirigé des royaumes dans l’Afrique pré-coloniale, des femmes d’influence, des guerrières - comme les amazones du Dahomey-, des résistantes à l’esclavage arabe et occidental, ou encore des mères de bâtisseurs d’empires. C’est le premier ouvrage consacré à des femmes noires en tant qu’actrices historiques.

J’ai écrit ce livre car j’ai toujours été frappée par l’absence des femmes noires dans la littérature historique, à l’exception des Afro-américaines qui ont su prendre en main la rédaction et la transmission de l’histoire qui les concerne. L’histoire dite « universelle » ne leur reconnaît aucun rôle alors qu’elle le fait pour des femmes d’autres groupes humains. De ce fait, les manuels et les programmes scolaires, même en Afrique,occultent totalement ces femmes noires qui ont pris part aux combats de leur société. Or des traditions orales ont gardé trace de certaines d’entre-elles.

Par exemple, mon enfance sénégalaise a été bercée par les récits que nous faisaient les anciens à propos des royaumes du passé et de leurs dirigeants, mais où il était aussi question de reines ou de valeureuses héroïnes. Cet héritage de combativité féminine n’est plus transmis aux jeunes générations ; ce qui fait, qu’aujourd’hui encore, la communication globale qui régit notre monde ne cesse de renvoyer les femmes noires à des clichés d’effacement et de soumission.

Je me rappelle les années 70 à Paris où j’étais étudiante, et où c’était une grande période de mobilisation féministe. J’étais très frustrée de constater qu’on ne mettait en avant que des héroïnes occidentales. Et un de mes professeurs d’université m’avait répondu que : « Les femmes africaines n’ont eu aucun rôle dans des faits historiques, et quand certaines populations ou traditions orales mentionnent des personnages féminins, il s’agit de mythes inventés par des sociétés primitives et magnifiés par des griots ».

Et puis un jour, alors que j’étais jeune journaliste à Radio France où je présentais des émissions culturelles et historiques, j’étais en train de consulter des archives militaires françaises du 19e siècle quand je suis tombée sur la lettre d’un officier français signalant à sa hiérarchie parisienne nom d’une reine qui dirigeait la résistance de sa région contre les tentatives d’annexion du nord du Sénégal par les troupes françaises. Il s’agissait de Ndete Yalla dont je parle dans mon livre. Cette information a agi sur moi comme un déclic car cette reine faisait partie des personnages retenus de mon enfance sénégalaise. Et j’ai pensé : « Si un Blanc atteste de son existence, c’est que son histoire n’est pas un mythe ! » C’est là que j’ai eu envie de pousser plus loin ma curiosité et d’essayer de rechercher dans les sources coloniales d’autres noms de femmes qui auraient pu jouer un rôle dans l’histoire de leur pays.

Ma prospection s’est avérée assez fructueuse pour me permettre de réaliser en 1976-77 à Radio France une série d’émissions historiques où je revisitais des évènements marquants de l’histoire de l’Afrique au travers de femmes qui s’y étaient illustrées. Le succès de ces émissions, dans la vingtaine de pays francophones où elles ont été diffusées, m’a encouragée à poursuivre ma démarche. Pendant des années, parallèlement à mes activités professionnelles, j’ai continué à collecter tout ce que je pouvais trouver, soit dans des archives européennes, soit en m’intéressant aux traditions orales lors de mes déplacements en Afrique.

Au départ, je ne pensais pas à une publication. L’idée m’en est venue plus tard et c’est ma fille qui m’y a indirectement poussée. Elle avait alors huit ans et venait de voir Pocahontas, le célèbre dessin animé sur cette jeune princesse indienne. Le soir, en rentrant à la maison, elle m’a dit d’un air étonné : « Je ne comprends pas. Tous les grands pays ont des femmes célèbres, et pas les gens comme nous. Les Français ont Jeanne d’Arc, les Anglais, la reine Victoria, même les Indiens ont Pocahontas ! Et nous, on n’existait pas avant ? ». Ce questionnement d’enfant m’a interpellée. Alors que l’Afrique dont nous sommes issus est considérée comme le berceau de l’humanité et le continent le plus anciennement peuplé de la planète, voilà que des enfants afro-descendants en sont à imaginer que si nous n’avons aucune place dans l’Histoire, c’est sans doute parce que nous sommes apparus après les autres humains !

J’ai alors décidé d’élargir mes recherches pour faire connaître à un large public ces informations qui,jusque-là, n’avaient été traitées par aucun chercheur. Un tel livre pouvait offrir aux jeunes générations du monde entier, et pas seulement aux Afro-descendants, des références autres que ces éternels héros blancs, invariablement promus comme des modèles d’intelligence, de puissance, de courage - donc de supériorité -, par la littérature, les bandes dessinées, la télévision et l’école. Dès le départ, mon choix a été de faire de la vulgarisation pour le grand public car je pense qu’il est temps d’avoir sur l’histoire des peuples noirs un regard différent de la vision réductrice qu’en a forgée l’imagerie coloniale.Cette ambition m’a vraiment portée et m’a aidée à vaincre de nombreux obstacles pour réaliser ce livre.

  1. Comment avez-vous procédé pour la recherche des sources? Avez-vous rencontré des difficultés ?

D’abord ce fut très long. On ne trouve jamais d’aides ou de subventions pour ce genre de projets, et comme je devais financer toute seule mes recherches, parfois même certains déplacements, ainsi que mon travail d’écriture,il m’a fallu plus d’une dizaine d’années pour en venir à bout.Pour revenir à la question de la méthodologie, comme je l’ai expliqué plus haut, je me suis inspirée de sources à la fois écrites et orales. Les ressources documentaires m’ont apporté des précisions sur les faits et les dates, tandis que les témoignages oraux étaient surtout riches d’indications sur le caractère des personnages, sur la façon dont les gens vivaient, et sur diverses anecdotes qui m’ont permis presque de restituer ces femmes dans leur quotidien.

Pendant longtemps, les africanistes occidentaux ont considéré que seul ce que les Blancs écrivaient sur nous avait un caractère scientifique. Or les sociétés africaines pré coloniales ont transmis leurs informations à caractère historique essentiellement par le biais des traditions orales. Et c’est l’UNESCO qui a un peu réhabilité ces sources, en soutenant notamment un débat de fond sur cette question au moment du lancement de sa collection Histoire générale de l’Afrique. J’ai été très intéressée par ce débat car il nous libérait du carcan imposé par cet endoctrinement colonial qui a longtemps circonscrit les peuples d’Afrique, leurs cultures et leurs sociétés à un monde d’infériorité et de sauvagerie.Ainsi, en effectuant un minutieux travail de rapprochement entre sources écrites et informations de traditionnistes, j’ai réuni une documentation éparse mais avec assez de densité pour dresser une vingtaine de portraits.

A suivre…

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